Il y en a qui croient que je m'amuse, parce que je prends du plaisir à ce que je fais et que sémantiquement il s'agit bien d'un « loisir », le fait de pouvoir décider pour soi-même de ce que l'on veut faire, mais aussi parce qu'au bout de 9 mois je n'ai pas encore véritablement signé de contrat. Il y en a aussi qui croient qu'il suffit de s'immatriculer auprès de l'INSEE pour avoir un numéro de SIRET et que les clients arrivent aussitôt, telle une manne sur du bon pain. L'argent qui serait facile. Travailler est synonyme d'effort, mais un effort n'est pas nécessairement rébarbatif, sinon personne ne s'adonnerait à des sports. Or on n'apprécie pas forcément de pratiquer un sport de ballon comme le football où il faut être capable de réfléchir vite et se synchroniser avec les autres joueurs, ou l'athlétisme où on est son propre adversaire, où on se bat contre un chronomètre ou les lois de la pesanteur. Il y a une nuance entre faire découvrir un sport à un enfant et l'obliger à le pratiquer contre son gré. Mais ça n'est pas parce qu'il en a envie ou qu'il lui plait qu'il va automatiquement devenir un champion, simplement par la pratique répétée. Il y a une part de 'don'. Certaines activités paraissent plus faciles que d'autres, sans qu'elles le soient pour autant faciles à tout le monde. Or il me semble avoir perçu l'idée que tout le monde devrait pouvoir faire n'importe quoi, selon son désir, que toutes les aptitudes professionnelles seraient accessibles à n'importe qui, que nous serions totalement interchangeables, pourvu que l'on se forme au métier. Cela serait assez cohérent avec les théories sur la liberté fondées sur la capacité de choix, la non-frustration des envies. Nous serions comme l'enfant à qui on donnerait un budget pour aller acheter ce qu'il veut dans un magasin de jouets. Mais si au lieu de cela il préférait aller dans un magasin de disques choisir une musique à écouter ? Ou une librairie ? L'enfant doit-il nécessairement aimer jouer ? Qui l'a décrété ? Comme le dit Nietzsche, en le supposant lié au dogme chrétien, nous sommes un peu gouvernés avec un sens de médiocratie qui protège les faibles et oppresse les trop doués, ceux qui ont un 'don'. C'est le principe des limitations de vitesse sur les routes. Pour rouler vite en toute sécurité il faut du talent, qui peut s'acquérir, mais il faut aussi un 'don' en matière de vigilance et de réflexes, de capacité de niveau d'attention. Or dans un contexte d'égalité des droits avec une population qui comme le note Edmond Burke a des talents et ambitions très disparates, on ne peut pas laisser les gens rouler à la vitesse qu'ils veulent. Certains n'ont pas conscience de leurs limites de capacités, ils veulent pouvoir faire comme tout le monde.
On sera éventuellement miséricordieux si il ou elle est handicapé(e) par rapport aux autres, mais bien moins indulgent si il ou elle bénéficie d'un avantage qui semble inique, injuste ou inéquitable. On voudra lui mettre des bâtons dans les roues, l'emmerder gratuitement, juste pour ce qu'il ou elle est, peut faire.
Cependant je pense que tout le monde a des 'dons', reçus avec plus ou moins de générosité, tout comme des 'privations', plus ou moins sévères. Mais que par un bienfait de la nature qui pense à tout, ces 'dons' et 'privations' ne sont pas identiques pour tout le monde. Il paraît alors raisonnable que dans un but de justice et d'équité les 'privations' soient compensées par des 'droits' particuliers, comme celui d'avoir une rampe pour monter un escalier avec un fauteuil roulant. Mais l'est il aussi d'interdire des activités pointues aux rares qui en soient capables ? Imaginer qu'à côté de la rampe et de l'escalier pende une corde pour ceux qui pratiquent facilement l'alpinisme ? Or il m'a été flagrant de voir, lorsque nous avons été contraints à cet exercice, que grimper à une corde est très facile pour certains, mais est d'une complexité inouïe pour d'autres, sans qu'ils soient pour autant handicapés. Là où par contre l'affaire devenait totalement inique, injuste, était d'être noté, classé, selon ses performances. Car le doué y a forcément des bons scores, tandis que l'handicapé échoue avec fatalité. Tant pis pour le maladroit. Une lutte de classes entre la méritocratie et la médiocratie se joue. Tout le monde doit être assigné au même exercice, au même devoir. Les élèves doivent être comparables entre eux pour rejeter les mauvais et garder les bons, telle une caissette d'abricots qui aurait été abimée. Pas de pitié si une prune est venue s'y nicher par mégarde. Pour réussir à obtenir un diplôme il faut convenir au calibre, au canon d'excellence. Ces « pédagogues », du grec 'péda' qui est l'enfant et de 'ago' qui est le chemin où on l'emmène, détestent les singularités, les anomalies, qu'ils n'arrivent pas à calibrer comme les autres. Ce qui a pour conséquence, en terme de 'destination' à leur « chemin » (de croix) d'être considérés « non-qualifiés » donc potentiellement « dangereux » pour une telle activité, inaptes. Ces enseignants se prennent non pas pour des artisans capables d'oeuvres uniques, mais pour des ouvriers dans une usine fabriquant des pièces en série. Ils trient des lentilles. Toute la société s'est « taylorisée », y compris les écoles et les hôpitaux. Il n'y a pas de place pour la singularité et l'altérité, les mœurs ont été standardisées, les pratiques doivent être imitables par tous ceux qui le souhaitent. Car on n'a pas appris à savoir accepter des frustrations lorsqu'elles sont « divines », inexplicables, ou alors il faut montrer de la gratitude d'avoir été nanti, d'avoir tiré un « bon numéro ». Celui qui a gagné à cette loterie doit faire profil bas, ne pas attiser de jalousies, se montrer d'une grande discrétion. Il est admissible d'avoir acquis un talent par son effort, son travail, pas d'être né avec automatiquement, d'être précoce. Et si on fait « sauter des classes » au précoce, alors que ça n'est pas toujours une bonne idée, on ne lui concocte pas un « programme spécial », on continue de le calibrer comme les autres au diamètre du canon. Les écoles fabriquent des obus. Vous souhaitant un excellent feu d'artifice en 2019 !
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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