L'association de certains mots paraît parfois douteuse au point que l'on craint l'oxymore. Ça l'est d'autant plus lorsque l'acception de ces mots fait fi de leur sens initial, et il est alors prudent de se demander s'il y a une volonté de manipulation, de tromperie. On veut faire croire une chose possible alors qu'on vise un autre but que celui annoncé. La réflexion doit alors porter sur les motifs de la supercherie, de la manigance, et du risque que l'on court. Il y a pseudologos (ψευδολόγος), un discours faux, un raisonnement erroné, une tentative de déception. En effet la performance signifie les résultats obtenus par un compétiteur, les caractéristiques chiffrées d’un mécanisme, et par extension le succès, l'exploit, le rendement, le niveau atteint. Car le mot vient de l'anglais to perform qui désigne le fait d'une action, la mise en scène, l'accomplissement. Mais l'anglais vient lui-même du français parfournir dont le Littré a conservé la définition : fournir en entier, achever de fournir. De même que ce qui est parfait est fait entièrement et que le parachevé est l'entièrement achevé. Ainsi Montaigne dit que « la fortune parfit ce que l’art n’avait pu atteindre. » La performance réalise donc ce qu'il est possible de faire à l'extrême de ses moyens, et aujourd'hui peut se mesurer, et se comparer à celles atteintes par les autres. Quant à la durabilité ce mot désigne ce qui est durable, résiste aux facteurs de destruction, dure dans le temps, se conserve. Il vient du latin dūrābilitās de même sens. Mais la durabilité s’entend surtout aujourd’hui dans une idée de respect de l’environnement et de la société. Il s’agit de savoir comment exploiter au mieux des ressources environnementales et humaines sans les dégrader, mais pas forcément d’avoir une activité pérenne. L’IFC a ainsi défini des « normes de performances » qui mesurent l’efficience dans la gestion des risques et impacts sociaux et environnementaux. Iveco vante l’augmentation de puissance de ses camions conjointe à une diminution de leur pollution. Selon le Conseil Fédéral suisse, « améliorer la durabilité d’une entreprise » revient à contrôler ses indicateurs performance environnementale. Ces gens-là ne parlent-ils pas plutôt d'innocuité des entreprises pour leur écosystème ? De ne pas être nuisibles à ce qui les environnent ? Un système étant un ensemble structuré, ordonné, régit par des règles de fonctionnement naturelles ou arbitraires, et le préfixe 'éco' vient du grec oikos (οἶκος) qui désigne la maison. Cela voudrait dire que l'activité économique (les règles de la maison, son but de prospérité) vient comme une menace du lieu où elle s'exerce, par parasitage, prédation, ou destruction ? La question de la durabilité se pose plus pour l'entreprise elle-même par rapport à son risque de faillite, aux aléas des marchés, aux disruptions provoquées par une nouvelle concurrence ou par des lois plus strictes.
Hélas cette volonté trouve difficilement son chemin dans l'esprit des employés français qui, d'après un sondage du magazine Philonomist, sont plus soucieux de la satisfaction des clients par leur travail et de faire du profit. Pour ces travailleurs la sauvegarde de la planète doit être l'œuvre de l'état, mais pas une contribution de leur employeur. Exit donc les tailles et les corvées pour préserver son écosystème, ils veulent se centrer sur le plaisir de travailler, être reconnus, impliqués dans la gestion de l'affaire, la chrématistique (gestion des affaires – χρῆμᾰ (khrêma) – pour Aristote). Car justement en terme de durabilité, de durer dans le temps, c'est bien ce que veulent ces employés de leur entreprise, en s'adonnant à des performances toujours améliorées par la compétition. Donc déguiser l'innocuité en durabilité est un bon argument pour les entraîner à plus de soins. Il vaut mieux occulter le risque que représente l'émergence de pays autrefois moins développés qui à présent arrivent à produire pour moins cher des produits presque aussi bons que les nôtres. C'est la durabilité de l'état qui est en jeu, ses performances sur le marché mondial. Mais alors comment peut-on réussir à conjuguer performance, exploit, et innocuité pour ce qui nous entoure ? C'est là où il faut être vertueux en terme de prudence, d'intelligence pour se préserver et prendre les bonnes décisions. Il faut également faire preuve de justice pour que ce que l'on cause soit équitable, non répréhensible. Ces travailleurs désireux de co-décider sont-ils donc aptes à ces qualités alors qu'ils n'en ont pas le souci ? Ils désirent une reconnaissance de leurs performances, de ce qu'ils parfournissent, mais laissent l'état gérer ce qui relève d'une participation citoyenne ? Car ce qui s'appelle une performance dans la durabilité est l'endurance, l'aptitude à résister avec force et constance à une fatigue. Endurer est souffrir, subir une charge pénible, douloureuse. Du latin indūrō qui est s’endurcir. Tandis que la performance dans l'innocuité est l'innocence, qui est aussi celui qui ne se rend pas compte des choses, qui ignore la réalité. Il serait donc malvenu qu'en présumant qu'une entreprise peut être nocive elle se dise innocente. Pour citer Aristote : « l'ignorant affirme, le savant doute, et le sage réfléchit ». La définition sémantique qui serait convenable est celle de la bienveillance. Veiller au bien c'est prendre soin de ne pas être nocif, mais c'est également définir la notion du bien. Ainsi critiquer les actes de quelqu'un qui s'y prend mal est-il de la malveillance ? Le bien est-il la prospérité des individus pris séparément ou celle de la communauté ? L'éducation n'est-elle pas un bien alors qu'elle peut remettre en cause des comportements ou des croyances ? Comme l'a dit Socrate (à Xénophon) il faut avant tout savoir où on peut trouver le bien en soi. Pour aller plus loin :
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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