Jack Ma qui a 54 ans dit qu'à partir de 50 ans il faut pouvoir faire ce dont on a envie. Mais cela ne signifie pas nécessairement être oisif, ou retraité. Ce serait plutôt trouver enfin le temps et les moyens d'être soi-même, ne plus être cet autre que soi que la société nous force un peu à être pour des questions de traites à payer pour son logement, ou des enfants qui requièrent du temps qu'on ne peut s'allouer égoïstement. C'est peut-être d'ailleurs ce reproche non-dit des employeurs à l'intention des quinquagénaires : essayez de bosser pour vous-mêmes plutôt que pour nous en ne vous aliénant plus à nos caprices. Soyez libres à présent que vous êtes sages et performants, réalisez vos vœux les plus chers. Cependant, entre le vœu et la possibilité interviennent les lois de la société, en particulier celle du « marché », cette agora moderne qui a ajouté aux échoppes la fonction de place publique virtuelle avec les réseaux sociaux sur Internet. On y vante des réclames, on y fait l'éloge d'initiatives, on y blâme et diabolise les malfaisants. S'y retrouve t'il alors un espace pour les philosophes, porteurs de sagesse enseignant ce qu'est le Bien en soi, la Vérité ? Peut-il reproduire les succès de Platon ou Aristote avec de nombreux livres publiés et un large auditoire des cours qu'ils dispensaient ? Quel peut être le public, la clientèle, l'objet de sa bienfaisance ? Car ce n'est pas tout de faire ce qui plait, il faut aussi pouvoir en vivre car la pension de la Sécurité Sociale n'est pas encore versée. Le concept de « Trieb » de Freud a été traduit par « pulsion » de l'anglais pulse qui est le pouls mais aussi la poussée. Il s'agit plutôt d'un élan vu les sens du verbe treiben, de mettre en mouvement. Il peut y avoir des élans de vitalité de la psyché, ces appétits moteurs dont parle Aristote à propos de l'âme, ou parfois des élans mortifères lorsqu'on se pense « au bout du rouleau », plus bon à rien, rejeté par ceux qu'on aimait, que la vie est devenue une telle souffrance qu'on veut y mettre fin. Or créer une activité est vivifiant lorsqu'on a cette ardeur que Platon localise dans le cœur, voyant une psyché répartie dans le corps. Mais alors être un « philosophe de quartier » a t'il de meilleures chances aujourd'hui qu'à Athènes où cette activité était vue futile, ne servant à rien ? Car cela questionne l'habitude prise que ce soit des professeurs de philosophie qui le deviennent, parfois reconnus à titre posthume. Il y a peut-être alors besoin de faire changer le regard sur la philosophie qui est bien souvent marqué par les cours de Terminale au lycée. Dans une société où des gens se questionnent sur le sens de leur activité professionnelle, apporter une démarche de réflexion et de dialogue paraît adéquat aux besoins des citoyens. Le fait d'être novateur en termes de convictions ouvre un champ de possibilités qui motive l'intérêt. Il ne s'agit pas de prêt-à-penser mais d'un projet fédérateur dans lequel chacun peut puiser selon ce qu'il veut en prendre. Car la philosophie grecque peut se voir comme une réflexion sur les connaissances, les principes éthiques, et une vision psychologique, donc une connaissance de l'humain. On peut ainsi se demander si on agit seul ou si on fait à plusieurs une œuvre commune, une concitoyenneté dans la cité. Car si une activité professionnelle se résume à gagner de l'argent, c'est à peu près à la portée de n'importe qui. Mais si au lieu d'apporter de l'eau minérale on apprend à creuser des puits, c'est une démarche qui devient libératrice. Dans une société avec une épidémie de burn-out, rechercher des réponses à ce qu'est une vie bonne semble curatif. C'est en effet se questionner sur la finalité de l'entreprise, et vouloir aider celle-ci à cerner sa raison d'être comme le demande la loi PACTE : on s'interroge sur le rapport entre l'individu et le collectif, ce qui est en commun, qui n'est plus simplement l'exploitation d'outils fournis par un actionnaire-propriétaire, mais un moyen de bonheur dans la vie que l'on veut mener.
Il est alors utile, au bout d'un an d'exercice d'une activité, de regarder ce qui marche et ce qui peine. Les participants aux ateliers d'intelligence collective, co-construction de savoir, ont surtout été des travailleurs indépendants cherchant à agir juste. Car il est plus difficile en étant isolé de collègues de définir les comportements qui sont des biens et ceux qui sont des maux. La philosophie aide au discernement du bien, du juste et du beau, de sa manière d'agir, de sa déontologie. En cela les recherches menées en étudiant la pensée antique et la métaphysique, en les croisant à des livres récents, fournissent des éléments autant concrets que spirituels. Les lecteurs des articles hebdomadaires qui en découlent sont d'environ 2000 par mois, et un livre paraîtra chez Edilivre en juin. Il n'a pas été possible en revanche de persuader les contacts avec des organisations que la philosophie pouvait leur permettre un gain d'efficacité, de confort intellectuel, et contribuer à une mise en place réfléchie d'une déontologie faisant l'unanimité. L'idée que la moralité est induite par le respect de vertus heurte des convictions que la morale a justifié des peines injustes, ce qui est un paradoxe. Car si on prend celles que promeut Platon, il y a la sagesse (sophié), le courage (andreia), l'esprit harmonieux (sophron), et l'équité (dikaia). Comment être injuste et moral ? Le philosophe est-il alors un médecin qui prescrit des remèdes, ou un révolutionnaire exalté qui prêche un nouveau mode d'existence ? Le philosophe ne serait-il pas plutôt un « thérapeute de l'esprit », puisque la sagesse est dans la connaissance et le discernement ? Mais pour que le philosophe touche un salaire, il faut qu'il y ait prestation, qu'il exerce son art au profit d'un client, d'un bénéficiaire. Or son art est dans le questionnement des mœurs, des lois, et la définition de directions à suivre. Car selon Aristote l'optique du philosophe n'est pas le luxe d'une fortune importante, mais l'accomplissement d'une vie bonne, tournée vers la contemplation en vue d'une béatitude présageant d'une éternité comme daïmon guidant les générations suivantes.
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Septembre 2022
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