Concepteurs : Florence Legouge, Antoine Chaignot, Patrick de Backer Relations ou relation ? Il n'y a pas un modèle unique de relation entre les êtres humains, celle-ci peut prendre des formes multiples, complexes. Elles partent d'une relation à soi-même qui se transforme en relation aux autres. Le style de relation que l'on a avec les autres ressemble à la relation que l'on a avec soi-même. Ceci à différents niveaux : pensée à pensée, cœur à cœur, relation amoureuse, ou filiale, etc. C'est aussi une question de réceptivité à l'opportunité qui se présente, et l’on pourra s'interroger sur les nouvelles formes de relations induites par Internet et les réseaux sociaux. Or, la science n'en dit pas grand-chose car il lui manque des instruments pour mesurer les relations, des moyens d'expériences. En effet, une relation est-elle nécessairement intéressée ? Les réseaux de rencontres répondent à des désirs, des besoins. Va-t'on vers l'autre avec un esprit noble ou un esprit manipulateur ? Cherche-t'on à se faire plaisir, à vendre quelque chose ? Ne pouvons-nous pas nous contenter d’être avec nous-mêmes ? Peut-on avoir une relation dans le seul but d'avoir une relation ? Quel devient l'intérêt d'échanger ? Pour Aristote l'amitié pouvait être motivée par trois facteurs : le plaisir tiré de la relation, l'intérêt qu'elle pouvait avoir, ou la communauté de qualités humaines (vertus). D'autre part, le mot intéressant vient du latin inter-esse, être entre. La relation peut alors permettre d'atteindre un but, d’accomplir une quête. Tandis que pour le misanthrope l'enfer c'est les autres. Le bien auquel on parvient doit donc être dissocié du plaisir trouvé dans la relation. Qu'est-ce alors que l'homme ? L'homme est-il membre d'un tout, tel qu'une cité, ou est-il un individu isolé ? Le modernisme numérique rend la distinction plus difficile et les générations âgées peuvent être déroutées par les filtres qu'Internet a créés. La réalité d'une relation où on se rencontrait en face-à-face a été remplacée par la réalité virtuelle portée par des messageries et des vidéoconférences. Or, a-t’on bien affaire aux mêmes personnes lorsqu'on les a devant soi ou les voit derrière un écran ? Se réunit-on pour discuter d'un sujet, ou avoir un moment convivial erratique ? Car si on considère les sites de rencontres « amoureuses », les utilisateurs sont là avec un objectif, ils veulent parfois aller vite, et cherchent le bénéfice de la liaison avant qu'elle ait eu lieu. De plus, comparé aux agences matrimoniales, la possibilité de pouvoir mener des dialogues simultanés avec plusieurs personnes n'est elle pas le symptôme d'une forme de consommation, voire d'une boulimie ? Nous constatons donc une perte de sens de la réalité et une instrumentalisation des relations. L'homme animal politique selon Aristote, faisant corps dans la cité, devient plus solitaire, individualiste. Or n'avons-nous pas un besoin vital car « sans l'autre je ne suis rien » ? N’existons-nous que par le regard des autres ? Pourrions-nous vivre comme Robinson, en retraite dans une île déserte ? La relation fournit donc un sens, circule, et dans celle-ci nous pouvons être tour à tour prédateur et nourrisseur, prendre ou donner, avec un équilibre ou non. Ce qui nous oblige à avoir des capacités de donner et de recevoir.
Mais que devient cette liberté avec l'actuelle nécessité de distanciation sociale ? Comment avoir encore des rencontres inattendues si un déplacement requiert une attestation ? Par ailleurs, les réseaux sociaux tendent à un utilitarisme des relations : les gens s'y retrouvent pour savoir ce qu'il advient de leurs contacts, glaner des informations. Tandis qu'un lieu comme un café permet des rencontres inattendues, imprévues, parfois insolites. On peut s'y laisser porter, être plus fluide, sans but d'excellence affichée. Relations au travail Celles-ci sont particulières car intéressées : pour avancer en carrière il faut se faire valoir, et la reconnaissance permet de justifier ses progrès. La lutte pour le pouvoir y est manifeste, même si elle se dissimule dans une apparente bienveillance. Les égos se comparent, se jaugent. On peut en être facilement éliminé par un licenciement, ou soi-même éliminer l'entreprise avec une démission. Sans cela le risque est de se retrouver placardisé ou muté lorsque l'on dérange. On voit même apparaître des entretiens de licenciement par outils de vidéoconférence. Que dire aussi du Président des USA brutalement éjecté de son moyen de communication favori ? On désintègre à présent les gourous qui dérangent. Or on trouve dans la société, et en particulier dans les entreprises, des gens qui veulent dominer par la manipulation. Leur structure énergétique résulte d'une trahison, ils n'ont confiance en personne et cherchent un pouvoir de domination, attaquant tous leurs détracteurs. Pour autant, il faut être dans une stabilité émotionnelle pour se mettre en relation avec l'autre. Les énergies doivent être compatibles, en mouvement, ou sinon ce sera la guerre. Celles-ci doivent être perceptibles, et comprises pour savoir les employer. Il faut trouver sa juste place, afin qu'elles circulent correctement. Bien se connaître Pour Spinoza il faut comprendre ce qui nous affecte, être en accord avec la nature, c’est-à-dire le tout. Car nous ferions tous partie d'un même ensemble. Mal nous connaître nuit à nous reconnaître dans ce tout. En effet, il nous faut connaître nos désirs car notre relation de base est une relation à soi. Selon notre vécu nous serons portés à certains points de vue, à certaines ambitions. C'est en changeant en soi qu'on change d'être, de sa relation au monde. Ce qui entraîne le changement d'entourage par ce nouveau regard, cette nouvelle manière de penser. Nous sommes donc en vibration avec le monde. Ceci dit, nous ne pouvons pas tout connaître et nous nous retrouvons alors ballottés par la vie. Puisque nous sommes affectés par ce que nous percevons, cela agit comme un cercle auto-entraînant qui peut être vertueux ou vicieux, maintenant le bien ou le mal. Il faut donc savoir si l’on agit selon sa nature ou si on décide rationnellement selon ses besoins. C'est là que peut se faire sentir une nécessité de métamorphose, pour pouvoir choisir sa vie, le futur que l'on veut pour soi-même, et ne pas arriver là où on ne veut pas : arrêter de grandir dans un état pour passer à un autre état à construire, et ne pas croire qu'en changeant de contexte on changera soi-même. Il faut changer à l'intérieur. Protéiforme Nous sommes chacun avec de multiples facettes : tour à tour tueur, gourou, amuseur, etc. C'est ce qui nous permet de distinguer l'acceptable de l’inacceptable. Changer est donc se transformer et c'est une erreur de l'envisager comme un affrontement avec soi-même. Il faut être dans l'acceptation du futur qui vient et travailler sur ses fondations, ce qui n'est pas toujours lumineux et joyeux. Cela peut se noter dans la synchronicité entre qui on est et qui l’on attire. Les relations pérennes montrent la compatibilité entre soi et l’autre et on peut très bien se retrouver avec des victimes ou des bourreaux selon les cas. Il faut parfois savoir accepter sa noirceur.
Alors que notre société nous pousse à des relations basées sur la raison, il faut réaliser que celles-ci font partie de notre instinct, de notre manière de survivre. Paradoxalement, nous sommes mal équipés pour ces relations , il y a un décalage entre potentiel et usage, nous avons un problème d’ajustement. Car on ne peut s'empêcher de les penser par la tête alors qu'il faudrait les aborder par le cœur. Nous avons besoin de ressentir et éprouver dans la chair. En conclusion, on peut se demander quels palliatifs trouver à la privation de relations que nous impose la situation sanitaire. il y a par exemple la question des étudiants, jeunes gens en pleine construction d'eux-mêmes, qui dépérissent, alors que c'est l'âge d'une effervescence de relations. Car nous devenons adultes sur cette base de relations qui nous suivra au long de la vie, puisque dans la société nous sommes en relation les uns avec les autres, ne serait-ce que du fait de contrats de travail. En effet, le contrat est un lien formel entre personnes. Les jeunes gens qui en sont privés vont-ils alors en garder des séquelles, des handicaps ? Nous avons besoin de respirer la vie qui est en nous.
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Concepteurs : Philip Anderson, Yolaine Hodebourg, Florence Legouge, Françoise C. Rédacteur : Guillaume Rosquin Compte-rendu de l'atelier du 09/09/2020 Situation des jeunes travailleurs Les jeunes sont salariés avec l'idée que c'est une mission temporaire, étant loyaux mais infidèles. Car à présent les évènements extérieurs ne sont plus maîtrisés et l'entreprise ne peut plus garantir un emploi à vie. Ils se sont donc préparés tôt à ce mode de vie, se forment en permanence, et prennent là où ils sont ce qu'ils peuvent apprendre avant de partir ailleurs, sans état d'âme, comme des papillons qui butinent. Les entreprises doivent s'y habituer, c'est une contrepartie de leur nouvelle fragilité. Cela s'est encore accentué depuis 2008. C'est lorsque le jeune commence à être performant qu'il s'en va. Face à cela le management n'a pas su se remettre en cause pour devenir plus participatif que directif. Car la première expérience pour le jeune travailleur lui fait mettre tout le monde dans le même schéma. On se rend compte qu'il n'y a plus cette conversion des apprentissages en alternance par un emploi dans l'entreprise. Après s'être form, le jeune part travailler ailleurs. Une possibilité pour le retenir est de lui apporter un tutorat pendant sa formation. Ces jeunes ne trouvent pas chez leurs parents des sources de sagesse pour savoir comment se comporter au travail, jugeant que leurs situations réciproques ne sont pas comparables. Le dialogue familial est donc à rétablir. Car le fondement est de savoir comprendre la logique des autres, en particulier ceux qui sont en situation de vous gouverner. Sans éducation au dialogue, cela n'est pas possible, la communication est difficile et on ne parvient pas à savoir ce que l'autre veut. Il faut également comprendre quelles sont les manières d'être pour superviser et lorsque l'on est supervisé. Comme vu dans le précédent atelier, le mouton n'accepte plus son berger s'il se pose des questions dont les réponses remettent en cause son autorité. Le manager-berger doit donc réapprendre à se faire respecter car les codes de ces manières d'être ont changé. L'entreprise fantasmée Peut-être à cause des nombreuses écoles de management au savoir théorique, le jeune espère un idéal qui n'existe pas. Il rencontre alors des difficultés d'intégration. Il lui faut se mettre à son compte pour réaliser qu'il faut avoir les bonnes attitudes, ne pas contrarier les managers et les clients, et que conserver ses collaborateurs est une problématique du chef d'entreprise car les départs induisent des changements dans l'organisation. Or il faut savoir que tous les chefs, patrons ou managers, ne suivent pas le même style (?) même si les grandes entreprises les forment à des canevas relationnels. Un chef peut être conducteur (leader), gouverneur qui dirige, commandeur qui ordonne, ou administrateur qui gère. Il y a aussi le patron qui applique une stature traditionnelle, dite « paternaliste », familière et autoritaire. Il faut donc prendre son temps lorsqu'on cherche du boulot et rencontrer les potentiels chefs pour savoir avec lesquels on va s'entendre, avoir plaisir à collaborer. Cela implique de savoir les questionner pour les reconnaître, et de se connaître soi-même pour savoir ce qui nous convient. Ici aussi le dialogue est essentiel. En effet le salarié à des attentes à l'égard de son chef d'entreprise et de ses managers à qui il délègue ses pouvoirs : l'employé tient ces chefs responsables du confort et de l'ambiance de travail, de la sécurité de son emploi, et du niveau de rémunération. Si ces trois critères se dégradent l'employé se mettra à préparer son départ pour trouver d'autres chefs. Pour cela ceux-ci doivent exercer leur travail d'organisateurs, de bons gestionnaires, et de visionnaires. Le travailleur s'occupe du quotidien, son chef prévoit ce que sera l'avenir, et fait en sorte que le travailleur soit bien considéré. Or les jeunes suivent à présent des études où ils n'ont pas d'ancrages, avec des séjours à l'étranger, et y apprennent des modes de collaboration qui ne se retrouvent pas en entreprise. Habitués à des campus et à une faible relation avec leurs enseignants, ils découvrent ensuite des milieux assez clos et des managers assez présents, contrôleurs. La difficulté est accentuée dans une grande structure où il est difficile de connaître les gens pour développer des relations de travail basées sur les valeurs humaines et le bien-être. Dès lors la start-up est un modèle en vogue où les jeunes se plaisent, y trouvent une tension qui leur convient, où ils ne subissent pas une hiérarchie oppressante. Mais avec la phase de confinement en 2020 ils ont découvert qu'il existe une autre vie possible que celle sur son lieu de travail. Ils réfléchissent donc à de nouveaux styles de vie. La figure du chef Auparavant la légitimité des chefs était assurée par leurs compétences dans l'art et la technique car ils étaient des ingénieurs qui finissaient par se mettre à leur compte. Alors qu'aujourd'hui on attend d'eux qu'il soient des gestionnaires et qu'ils ne pilotent pas à vue. L'entreprise est devenue tournée vers ses clients qui sont essentiels à son existence. Sont apparus des effets de mode qui font que le client n'est plus captif et part se fournir ailleurs s'il y trouve mieux. La pérennité de l'entreprise passe donc par une gestion habile plus que par la qualité du management humain. Mais si ce patron réunit ces deux qualités on reste avec lui. Se mettre à son compte devient donc un désir de pouvoir choisir ses clients et son mode de vie. Il s'agit de créer un enrichissement mutuel entre soi et eux par l'échange de connaissances. On y trouve une réelle liberté au sens d'Aristote et de Hobbes de n'être plus commandé, et de pouvoir adapter son travail à sa manière de vivre. Car le salariat est fatiguant, les contraintes sont nombreuses, et sa propre sécurité dépend d'un autre que soi, qui peut être faillible. Cela créé une situation de pression morale qui dérive parfois sur du harcèlement. Alors que l'entreprenariat cause une insécurité compensée par la qualité de vie que cela apporte. Cela devient comme un jeu où chaque mois tout peut être remis en question. Aristote disait qu'il y a peu de différence entre l'esclavage et le salariat. L'humain aime pouvoir maîtriser sa propre situation, quitte à réduire ses besoins à cause de sa précarité. Mais il y a aussi les gens qui ne voient que leur intérêt et leur plaisir propre (égoïstes), et utilisent les entreprises pour se former pour évoluer, et les chefs d'entreprise salariés dont la rémunération ne dépend pas de leur efficacité. Certains ne jouent pas le jeu, trichent. Une forme de solution est alors apparue dans les SCOP qui agrègent des indépendants qui s'entraident tout en gérant leur propre clientèle individuellement, en étant rétribués selon le régime des salariés, ce qui leur donne droit aux allocations chômage en cas d'échec de leur activité. Mais comme ces organisations échappent au modèle du capitalisme, elles restent marginales. Parmi les premiers à s'être ainsi mutualisés on trouve les instituteurs qui pour se fournir avaient créé la CAMIF comme centrale d'achat, la MGEN en complémentaire santé, la CASDEN comme banque, et la MAIF pour s'assurer. La capacité de l'humain à ainsi s'associer pour combler des lacunes des employeurs est donc ancienne. Mais l'Éducation Nationale a alors accru sa direction pyramidale, est devenue gestionnaire, bien que non soumise aux vicissitudes d'une entreprise et que ses « clients », à l'instar des hôpitaux, ont besoin qu'on puisse leur consacrer du temps sans qu'il soit comptabilisé, mesuré. L'E.N. se retrouve managée comme une banque, avec des procédures strictes qui deviennent kafkaïennes. Or peut-on tayloriser l'enseignement ? Ne faut-il pas plutôt s'y impliquer ? L'image de soi L'humain a besoin que ses compétences ne soient pas étouffées par sa hiérarchie, qu'il puisse disposer d'une liberté d'initiatives supervisées avec bienveillance en cas d'erreur. Il en va de l'image de soi qui ne désire pas être instrumentalisé, réifié, manipulé. On se forme donc pour peut-être un jour créer son propre emploi, lorsque le moment sera venu, s'il vient un jour. L'humain n'est pas paresseux par nature.
Dans ce but les métiers manuels apportent une plus grande capacité migratoire, de mobilité, car ils sont devenus en tension. Ils permettent également de s'incarner davantage qu'un métier intellectuel dont la production est virtuelle. Mais la compétence indispensable reste un sens de l'organisation si on veut diriger une entreprise, pour soi-même ou avec des salariés. Ce qui implique de comprendre comment les choses marchent pour pouvoir les implémenter, tout en restant concentré sur son cœur de métier. Il peut donc y avoir un besoin d'inventer un nouveau modèle tel que l'intraprenariat dans les entreprises. Celui-ci est généralement confié à des profils commerciaux qui vont développer une nouvelle affaire, pour laquelle la personnalité du dirigeant joue beaucoup, et qui recrée un plaisir dans l'emploi par l'autonomie ainsi procurée. On se met à croître tout en gagnant de l'argent au sein d'une organisation qui fournit un socle. Mais pour cela il faut être mûr à la suite de sa longue formation empirique, comme une sorte de mutation de la chenille devenant papillon. Les gens seront ce qu'ils peuvent être. Il convient donc de motiver les meilleurs talents, et que ceux-ci se constituent un réseau pour établir une toile où les gens créeront de la valeur ensemble. Le travail doit avoir un sens et donner envie. Dès lors il faut se donner le temps d'enquêtes métier pour dénicher les genres de patrons pour lesquels on aime travailler (chef d’entreprise ou manager n+1), et les types d'organisations dans lesquelles on s’épanouira. Il ne faut pas s'y ennuyer, être désabusé, être dans cette immédiateté que procurent les loisirs numériques, mais accepter le besoin de construire progressivement des relations mutuellement profitables. Ainsi pour le chef trop accaparé dans la gestion et la planification, l'entretien annuel est un outil indispensable pour connaître les attentes de ses collaborateurs, plutôt que s'en servir pour assigner de nouvelles contraintes. Car en cas de peur le salarié ira se réfugier dans le syndicalisme pour y chercher du dialogue. Concepteurs : Françoise C., Patrick De Backer, Tristan Bitsch Rédacteur : Guillaume Rosquin Compte-rendu de l’atelier philosophique du 26 août 2020 Que signifie être mouton ou rebelle ?La question interpelle sur des points incompatibles : faire confiance est-il irresponsable ? Pourquoi vivre en société ne permet-il pas de se reposer les uns sur les autres ? Ce qui se produit est l'apparition de clans : on croyait avoir de l'autorité et on est dans un troupeau à côté d'autres troupeaux. Que devient l'autonomie ? Car le mouton est par essence grégaire. Sans troupeau le mouton n'en est plus un, c'est une brebis égarée ou un mouton évadé qui comme Épictète apprécie de vivre dans un certain dénuement. Le rebelle remet en question la confiance et le lien social avec lequel on se réunit autour de valeurs et de croyances. L'autorité se définit collectivement : c'est par la reconnaissance accordée par le groupe à son berger, organisateur de la vie du troupeau, que celui-ci peut exercer son commandement, la gouvernance de l'ensemble. Être mouton est donc nécessaire, même si sa docilité paraît péjorative. Alors que le rebelle remet en cause la légitimité de cette autorité, soit en révolutionnaire subversif, soit en réformateur. Il peut vouloir prendre le contrôle, ou sinon changer les modalités de ce contrôle. Contrat socialIl y a donc un contrat social tacite (tel que l'ont établi Aristote et Rousseau) et se pose la question de savoir si on peut être simultanément anarchiste, réfutant toute autorité, et contractualiste. Se pourrait-il qu'être mouton provient d'une « prédisposition génétique » à accepter un rapport de domination ? Un adolescent est-il un anarchiste ? Car son attitude bouscule les règles du contrat. Comment donc se positionner dans un vivre-ensemble tout en respectant les singularités de chacun ? Peut-on être simultanément mouton et rebelle, ou ni l'un ni l'autre ? Nietzsche voit alors des chameaux et des lions, joueurs et puissants (Ainsi parlait Zarathoustra). Nous devons laisser chacun être soi-même plutôt que se ranger à une église, une assemblée unie par un même dogme se voulant universel, afin que chacun soit reconnu comme individu. Restera-t-il alors des rebelles fous et marginaux, voire psychotiques, vivant en autarcie ? Car il semble dans la nature humaine d'être une partie d'un ensemble. Car comment faire pour ne pas vivre seul sans qu'une autorité ne soit imposée, et qu'elle risque alors l'insoumission, la fronde ? L'adolescent est dans une soif de liberté. Faut-il alors être belliqueux pour exprimer sa singularité et donc se construire ? La question se pose du statut du mouton dans le troupeau. Les moutons semblent identiques mais Ils ont une place plus ou moins attribuée dans le troupeau. Ceci leur permet de se différencier par des avantages et inconvénients. Le rebelle se marginalise et devient bandit, banni du groupe, ou se regroupe avec d'autres rebelles et vont former une secte. Le fait déclencheur Il s'agit donc d'être soi sans être noyé dans un groupe qui vous aliène. Les enfants ont besoin d’élaborer peu à peu la socialisation qui est de trouver une place dans un groupe tout en préservant sa singularité. Pour cela il y a besoin d’un cadre structurant avec des règles que peu à peu l’enfant s’approprie. L’ordre « c’est pour ton bien » sans donner du sens soumet la singularité de l’enfant à une autorité qui peut l’empêcher de laisser exprimer sa singularité et le rendre conforme de façon mécanique. Cela finit par les faire réagir bruyamment ou être en désaccord avec ce que l'autorité attend d’eux. Car faut-il suivre des règles ? Comme l'a dit Hérodote, au départ il n'y avait que la nature (physis) et l'homme a créé des règles (nomos) pour éviter le chaos. Le rebelle questionne donc le système (est finalement un philosophe) si les réponses qu'il trouve remettent en cause la légitimité de l'autorité, et pourra inventer un nouveau conformisme dans lequel il finira par redevenir mouton. D'où un besoin d'éducation à l'autonomie et à la liberté. Il faut pouvoir choisir sa prison ou son berger en autonomie. Penser par soi-même plutôt que sombrer dans le sectarisme. Se poser des questions est donc le début de la désobéissance, mais cela nécessite d'apprendre à savoir poser des questions. Pourquoi, comment, où, … En effet la moutonnerie nous rattrapera dans une secte. Il convient d'avoir une posture pour vivre dans la communauté tout en conservant des pensées indépendantes. Questionner, parce qu'avec les réponses, vient aussi la mesure de ce que l'on est. Dualité Il y a donc une dualité entre le mouton et le rebelle en fonction des circonstances. On peut laisser faire ceux qui organisent et trouver la vie de mouton confortable. Le problème apparaît lorsque l'autorité devient tyran, cherche son profit personnel plutôt qu'apporter le bien-être à son peuple. Et qu'alors aucune désobéissance n'est plus permise.
Comme l'a dit Sartre la rébellion est un acte de liberté, on est donc mouton par choix. Il faut prendre conscience de la liberté fondamentale de ses choix, du cadre de sa dépendance. Car sans cadre il n'y a pas d'organisation à laquelle se raccrocher. Mais ce cadre ne doit pas devenir un Ordre impliquant dictature et rétorsion. Le cadre est fourni par une autorité de type Magister qui vous conduit à l'émancipation, alors que l'ordre vient d'un Dominus qui vous aliène, vous éteint. Il faut donc pouvoir changer de cadre ; changer de bergers et de bergeries, partir, laisser d'autres venir à sa place, aller moutonner ailleurs, et se rebeller contre l'ordre qui aliène. Le rebelle est un mouton voyageur. A moins de naitre nanti d'un capital qui permette de vivre de ses rentes, il faut se plier à l'injonction de la Constitution de notre République qui dit que « travailler est un devoir » du citoyen. C'est tout particulièrement vrai si vous débutez votre vie adulte en étant « prolétaire », mot latin qui désignait les citoyens n'ayant aucune richesse, aucun bien. Il vous faut échanger votre besoin de vous nourrir et d'avoir un logement pour votre repos contre une activité qu'on vous rémunère. Car autrement vous seriez réduit à la vie des chasseurs-cueilleurs préhistoriques, ou à celle d'un SDF. Cela n'est pas facile, il va vous falloir trouver quelqu'un disposé à vous octroyer une part de sa richesse, de ses gains, en échange d'un labeur que vous allez effectuer de manière pérenne. Il n'y avait que dans les pays du bloc soviétique que les états se chargeaient de vous trouver une place. Étudions donc les modalités pour y parvenir : 1. Problème de base : Comment trouver les gens qui vont avoir envie de vous payer pour une activité que vous allez mener dans leur intérêt ? Il y a le facteur des compétences, acquises ou à acquérir, et ce qu’elles permettent de faire, qui doit coïncider avec deux envies à assouvir, la vôtre et celle de vos clients. Ces envies peuvent être d’accroître son confort, son pouvoir (liberté), de diminuer des difficultés, résoudre un problème, de soigner des souffrances, dans des approches matérialistes. Mais il y a aussi l’envie de piloter avec sa raison ou son instinct (habitude), d’avoir l’intuition d’idées décisives, ou de passer des moments de détente, ou encore de se réaliser soi-même, de créer des objets techniques tangibles ou virtuels (eg. Logiciels). Pour beaucoup l'activité menée doit avoir un sens, une raison d'être réalisée, une justification, sinon c'est un effort inutile. Certains trouveront ce sens dans des activités manuelles, d'autres dans des prestations intellectuelles. Cela ne résout pas la nécessité du vivre-ensemble et du travailler-ensemble où il ne suffit pas que les envies des uns soient comblées par l’utilité des autres. Car l’individu utile se trouve confronté à des émotions à l’égard de celui ou celle qu’il sert, qu’il peut trouver attirant ou repoussant, et réciproquement du servi à l'égard du travailleur. Par exemple certaines personnes sont sensibles à l’humilité et honnissent l’orgueil, mais un rapport humain peut sembler une confrontation entre un.e prince.sse et un crapaud. Certains partent de l'idée que tous les individus se valent, leurs sont égaux, quand d'autres réalisent une estimation d'eux-mêmes et des autres, attribuent des prix, selon un barème moral ou des niveaux de salaire. La mode actuelle est de le solutionner par l’adoption d’une posture, de montrer à son interlocuteur un personnage dont la sincérité est douteuse mais voulue rassurante. L’inconvénient est la tension créée, le stress et l’aliénation, le fait de ne plus être soi-même. Mais il y également le facteur d’adéquation entre les limites de compétences et les responsabilités accordées. Ne pas se montrer sous son « vrai jour » peut se révéler un piège, c'est une imposture. Cela va créer un brouillage entre une réalité tangible et la perception qu’on en a, qu’il va falloir interpréter, en déduire des intentions véritables, et éventuellement y réagir. Or les biais cognitifs sont des facteurs d'erreurs grossières d'interprétation, qui peuvent induire des attitudes (postures) et réactions totalement inappropriées. Ceci semble assez net lors des licenciement collectifs, lorsque l'envie d'employer est réduite à néant par une situation économique catastrophique, ou que l'employeur décide de délocaliser sa production vers des cieux où la main-d'œuvre est plus rentable. Tous ces départs, à présent assistés par des conseillers en outplacement, auraient pu être anticipés par une fuite progressive des talents voyant le vent tourner. La vexation induite par la perte de son emploi va entraîner tristesse ou colère, ainsi qu'une peur de ne pas retrouver un autre emploi, et un dégoût de la confiance accordée. Mais l'investissement, voire l'engagement, du travailleur n'est pas que raisonné avec méthode, il se fait aussi avec le cœur, l'intention humaine, qui le rend froid ou chaleureux, mécanique ou émotif. Peut donc interférer une situation personnelle douloureuse, deuil, divorce, ou joyeuse, naissance, mariage. L'humeur et les émotions influant sur les prises de décision. Nous voyons donc que de nos envies de départ, somme toute basiques, nous y avons ajouté des composantes de notre humanité, psychologiques, et communicationnelles. Dans cette interaction entre une envie de faire et un désir d'obtenir, des représentations de la réalité sont altérées par des effets de l'imaginaire, qui peuvent être provoqués, voulus, manipulateurs. Et c'est ensuite que peuvent survenir des critiques de l'un ou de l'autre, lorsqu'un constat de ce qui est fourni n'est pas conforme à l'imaginaire qu'on s'en était fait, que ce soit de croire qu'on a bien fait son travail, ou qu'on a bien communiqué sa commande. Il n'y a pas toujours une prise de recul pour s'objectiver soi-même, se déshumaniser, mais plus souvent une déshumanisation de l'autre. Ces facteurs sont souvent connus des gens qui ont l'habitude d'en employer d'autres, mais peu enseignés aux futurs adultes, comme s'il serait spontané de les comprendre, évident. Essayons à présent d'y trouver une raison : 2. Analyse philosophique : Nous venons, pour paraphraser Aristote, de nous « étonner sur une merveille offerte à nos yeux », et avons cherché à « savoir ce que c'est ». En soi c'est l'exposé d'une problématique, d'un frein au contrat social qui lie les concitoyens, cohabitant dans la cité. Il s'agit à présent d'en déterminer les causes, et pourquoi pas tenter l'approche des « 5 why » de Toyoda : a. Pourquoi tend t'on à déshumaniser un rapport « commercial » (interactif et économique) lorsque l'autre intervenant nous indispose ? Il peut y avoir une carence d'intelligence émotionnelle altérant notre faculté de comprendre notre indisposition, ou une carence d'intelligence raisonnable (phronesis en grec) qui altère la représentation qu'on se fait de la situation vécue, ou l'adoption de principes comportementaux fixant les rôles que chacun est supposé tenir qui peuvent être arbitraires. b. Les lacunes d'intelligence peuvent se réduire par des formations enseignant les théories sous-jacentes et apprenant à les conscientiser par des exercices pratique, mais d'où peuvent provenir ces normes sociales établissant des rôles qui ne sont pas unilatéralement connues et admises ? Cela peut provenir de traditions qui divergent entre les origines ethniques (culturelles) et les classes socio-économiques (dont Marx dit qu'elles luttent entre elles) qui transmettent des valeurs et un sens des vertus (qualités) propres à chacune. c. Le brassage des enfants voulu par l'Education Nationale, puis des jeunes adultes pendant leur Service Militaire, semblait viser la réduction de ces écarts d'idéologies sociales, mais ne doit-on pas admettre que ces classes se sont concentrées dans des quartiers urbains distincts, et que la « carte scolaire » provoque des concentrations homogènes ? Nous pourrions alors tenter d'organiser des réunions pour que les gens apprennent à se connaître, à se rendre compte qu'ils ne diffèrent pas beaucoup les uns des autres, tout en étant chacun uniques. Car nous avons tous à « faire bouillir notre marmite », nous distraire, et nous dépatouiller des tracas qui viennent émailler notre existence. d. Mais de telles réunions se produisent lorsqu'on se déplace dans les transports en commun et n'est-il pas flagrant que chaque voyageur se replie sur lui-même, souvent dans l'utilisation de son téléphone ? Il semble donc que privés de ces situation où un groupe humain subit une autorité qui le commande, les individus ne gardent de liens qu'au travers d'un « réseau » de connaissances personnelles qu'ils tiennent pour amis. C'est à dire si on suit la théorie de l'amitié d'Aristote, qu'avec des gens chez qui ils trouvent du plaisir, et/ou de l'intérêt, et/ou des qualités comparables aux leurs, ou désirées. e. Faudrait-il donc que pour retrouver une envie de se connaître, de se soutenir, les habitants d'une cité soient confronté à une source d'emmerdement commune ? (précédemment profs ou adjudants) Il est net que selon Aristote les individus épars se sont regroupés de façon urbaine lorsque l'artisanat s'est développé, ce qui doit correspondre à l'Âge du Bronze. Les gens accédaient à d'autres moyens de subsistance que l'exploitation agricole, établissaient le commerce, et se mettent à lire et à écrire. Les ennuis communs étant causés par les guerres avec les cités rivales. Or nous voici plutôt en paix en Europe depuis des décennies, et seulement menacés par le réchauffement climatique et la raréfaction des énergies fossiles. Il est par exemple flagrant de remarquer que le gouvernement américain a toujours sous le coude un « Satan de service » à combattre. Je citerai alors Saloustios (362 ap. JC) comme quasi-dernier théologue païen, disant que les démons ne sont que les serviteurs des Dieux, et que le Mal réside en l'homme, que l'on combat par ses vertus (qualités). 3. Proposition politique : Ayant identifié une cause racine, il faut y subvenir. La polis (cité) souffre d'une tension entre ceux qui ont envie de faire et ceux qui désirent recevoir, qui devraient se satisfaire mutuellement, car leur humanité les porte à des amours et désamours entre eux, du fait d'une absence d'un problème commun, d'une menace.
Pour certains le problème vient d'un actionnariat qui les presse d'un taux de rendement, pour d'autres c'est une envie de faire qui ne trouve pas d'acheteur, qui se trouvent à coïncider dans les opérations de licenciement. Mais en fait un problème commun est en eux-mêmes dans la méconnaissance des systèmes qui les régissent, interne dans le cas de la psychologie, et externe pour les principes de commerce. Le commerce étant étymologiquement les interactions sociales et les échanges économiques. Une part de solution réside dans une large formation théorique et pratique à la psychologie et aux sciences du commerce, incluant la maîtrise du numérique qui devient indispensable à la gestion de sa vie pratique. L'époque industrielle des ouvriers hommes-machine est révolue, on ne vit plus avec un emploi répétitif de tâches, et il n'y a plus que les états pour garantir des emplois à vie. Dès lors le concept de formation initiale payée par l'état, donc nos impôts, suivi de formation continue payée par son bénéficiaire est obsolète. Le citoyen est aujourd'hui tenu de se former tout au long de sa vie, et le modèle qu'un employeur qui licencie contribue à l'employabilité future des travailleurs qu'il ne veut plus est étrange. Il serait plus logique que ce soient les employeurs qui embauchent qui souffrent le coût de former leurs nouveaux salariés. La mode est au salarié prêt-à-porter, comme s'il en sortait des écoles, et le concept de l'employeur offrant une garantie d'emploi se perd. Cette insécurité d'emploi, qui se répercute sur l'accès au logement, locatif ou propriétaire, doit être admise et maîtrisée. Il n'est pas normal qu'un employeur qui recrute favorise le choix d'un candidat qu'il débauche d'un concurrent au détriment d'un autre sans emploi. Ce manque de civisme devrait être sanctionné. Les employeurs doivent se souvenir de leur rôle politique, qu'ils ne sont pas là que pour rétribuer le capital qui leur permet un outil de travail, ni succomber à la tyrannie de leurs clients despotiques, ni se faire le tyran de clients esclaves d'une situation de quasi-monopole. Il faut conserver une conscience de qui on est et de ce qu'on peut légitimement demander à autrui, et lui accorder son dû, ce qui base le concept de satisfaction en latin (paiement d'une dette). Cette optique est le volet sociétal de la norme ISO 26000 dite « RSE ». Si dans les années 1970 les économistes tels que Milton Friedman ont force de gourous, il apparaît aujourd'hui qu'une société humaine, une cité, ne peut pas fonctionner juste sur la base d'entreprises réalisant des profits. L'être humain n'est pas juste un animal, une bête de somme, qu'on peut traiter comme un cheval. D'autant plus si on admet la thèse d'Aristote qu'un humain qui passe son temps à travailler se dégrade intellectuellement, sans doute à cause de sa routine qui le maintient dans une étroitesse de point de vue, de son manque d'interactions avec des gens de divers horizons. Car « il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi ». Nous avons vu que le désir de faire doit coïncider avec un désir d'obtenir, et que les deux « contractants » (au sens du droit commercial anglo-américain, d'une transaction) doivent se plaire entre eux car ce ne sont pas des smartphones déshumanisés. Or certains tendent à voir les chômeurs comme des smartphones abandonnés, ainsi que ces inconnus, ces quidams, qu'on côtoie dans les transports en commun. Il y en a qui sont à la fête quand d'autres sont dans le tourment, l'instrument de torture. Et pour ceux-là qui ont un désir de se sentir utiles, nait un besoin que leur activité ait un sens, une raison d'être. La taylorisation des activités de service rend le poste de travail incompréhensible dans son système, et induit des hommes-ordinateurs qui mesurent des KPI, des indicateurs de performance, comme ces inspecteurs dans les usines qui chronométraient la cadence des ouvriers pour les houspiller. Ce désir de sens implique de pouvoir comprendre ce qu'on fait au sein d'un groupe d'humains plus vaste, dans lequel certains pensent qu'ils doivent afficher une posture, par exemple de chef, inspiré de mythes, de traditions, qui ne doit souffrir aucune critique. On vit dans un monde partiellement fait de faux-semblants où cerner la Vérité devient hasardeux, où finalement on se demande qui on est soi-même, qui sont ces gens qu'on côtoie, où l'ipséité de chacun est refoulée sous l'argument d'une productivité à assurer. Il n'est plus possible d'échanger pour montrer ses forces et ses faiblesses, d'apprendre une tolérance des limites individuelles, on attend la perfection humaine. Lors de la dernière Université d'été du MEDEF, le groupe Malakoff Médéric, institution d’assurance complémentaire maladie, a interrogé 7 dirigeants d'entreprises en leur demandant quelles seraient les particularités du dirigeant de demain(1). Ceux-ci ont mis en avant son caractère humaniste, proche des attentes de son personnel, bienveillant. Trop d'attention a été porté sur la financiarisation au détriment du bien-être de ceux qui réalisent la valeur ajoutée et le profit qui en découle. Il doit être également responsable aussi des impacts sociaux et environnementaux, et pas seulement financiers.
Alfonso Caycedo est le concepteur dans les années 1960 d'une approche thérapeutique neuropsychiatrique qu'il appelle sophrologie comme étant « l'étude de la conscience humaine et des valeurs existentielles de l'être ». Ce néologisme de racines grecques pouvant s’entendre comme une connaissance (logos) de l'esprit (phronésis) sain/harmonieux (sos). La sophrologie utilise la respiration, la relaxation dynamique et la visualisation pour ressentir ce qui est dans le corps physique. Elle laisser surgir par la visualisation, l'image d'un lieu, d'une chose, d'une situation pour y trouver des sensations positives. Elle permet d'améliorer, de transformer des situations pour les ressentir positivement. La sophrologie ne s'attaque pas de front aux émotions (peurs, etc) mais installe plutôt un nouveau regard par un élargissement de la conscience. Florence Legouge est une professionnelle indépendante qui après une carrière variée est devenue sophrologue. Elle aimerait intervenir dans les entreprises pour des initiations à la sophrologie, mais il se pose pour elle plusieurs difficultés : elle doit se faire connaître des entreprises, les persuader de l'intérêt pour elles de sa démarche, et atteindre cette disruption qu'est la passation d'une commande entraînant la réalisation de la prestation. Le premier problème est donc la réputation, le second le discours délibératif, et le troisième une entéléchie car la puissance du discours doit se transformer en acte. La réputation se définit comme une opinion, une honorabilité, et une notoriété. Il faut donc que la réalité que l'on est, en tant qu'individu perçu comme étant une personne, soit connue et comprise comme vertueuse, d'une façon claire et intelligible afin de ne pas provoquer de fausses opinions. Il faut donc effectuer un travail de communication axé sur les potentielles croyances préjudiciables, les identifier, s'informer des opinions couramment admises comme vraies. Or si notre vertu professionnelle contrevient aux idées courantes parce qu'elle est trop novatrice, cette démarche publicitaire peut être très longue. La vie n'a pas suffit à Caycedo pour que sa pratique soit largement adoptée, ce sont ses disciples qui y parviennent. Florence Legouge doit donc s'appuyer sur les jugements qui ont déjà été émis pour servir de précédents aux jugements de son auditoire. Ensuite pour que son discours puisse être persuasif, il est nécessaire qu'au delà de ses arguments solides et si possible irréfutables, elle mette en avant son ethos et qu'elle suscite un pathos, qui soit de l'envie qui découle sur de l'ardeur et non de l'indignation. Cet ethos doit refléter sa bienveillance, ses vertus morales et intellectuelles, et sa compétence professionnelle. Quant au pathos, pour qu'il soit de l'envie, Florence Legouge doit apparaître comme étant en compétition avec ses auditeurs dans le domaine de la recherche de bien-être, d'équilibre physique et psychique : elle y est arrivée mieux qu'eux, et c'est précisément cette manière de faire des missionnaires catholiques en Afrique, telle que l'on me l'a expliqué. Il ne faut pas faire de prosélytisme mais simplement se montrer en exemple. L'âme est le mot désignant l'animation d'un corps qui devient vivant grâce à sa psyché. Celle-ci a besoin d'être incarnée pour être capable de ressentis. L'esprit est le souffle vital. Il est donc crucial qu'ils soient alignés, que les puissances de vie et de rationalité se rejoignent. Sans cela point de liens possibles avec la société, sa civilisation, où nous sommes tous des vivants fait d'un corps et d'une âme. Or travaillant de plus en plus avec des outils numériques, à l'âme sans éthique, dans un corps électronique qui ne ressent rien, il est facile de se mettre à leur ressembler, à devenir un homme-ordinateur comme il fut des hommes-machine. Cet alignement sophrologique rejoint alors cette « digital detox » que l'on s'est mise à exiger en imposant des périodes de repos déconnectés. Car on attire ce que l'on est, ou ce que l'on devient. Qui se ressemble s'assemble. L'ami est aussi un miroir qui permet d’apercevoir à quoi nous pouvons ressembler à d'autres yeux que les nôtres. Nous pouvons ainsi présumer de dysfonctionnements qu'une thérapie peut corriger, et nous amener à de nouveaux amis. Or il doit exister une certaine forme d'amitié dans les entreprises afin de coopérer sans la tension d'une inimitié ruinant les rapports humains entre collaborateurs. Mais l'amitié n'est pas juste avoir un but commun, il faut aussi que les âmes s'accordent, comme les organes d'un corps vivant où aucune chamaille n’entache le bon fonctionnement de l'ensemble. Il faut donc bien que tout cela puisse s'aligner avec confort, et comment le faire sans alignement préalable de soi-même ? Il nous semble, selon cette analyse, que la sophrologie apparaît comme un facteur favorisant la prospérité d'une entreprise. Que son usage intéresse aussi bien des fonctions exécutrices que directrices, car ne faut-il pas qu'elles coopèrent ensemble efficacement ? Il est également fréquent qu'à force d'être dans la direction on en oublie une certaine humanité par son éloignement du terrain : on se désincarne, telle une âme devenant pur esprit. Mais de toutes les directions qui pilotent une société, laquelle réagira la première ? Cela sera t'il la Direction Générale, les Ressources Humaines, ou les partenaires sociaux ? D'où viendra cette idée que de pouvoir se faire de nouveaux amis, de nouvelles parties prenantes, il pourra en déboucher un travail meilleur par un esprit apaisé d'avoir opéré une réunion et un alignement avec son corps physique ? Car chacun peut le constater : lorsqu'on se sent mal, que l'on souffre, la qualité du travail que l'on produit s'en ressent. C'est simplement parce que la souffrance distrait de la concentration qui est nécessaire à l'accomplissement de tâches. On commet davantage d'erreurs, et c'est humain. En entrant en soi-même, la sophrologie permet de prendre momentanément une distance avec son environnement, un recul pour mieux l'appréhender ensuite, un bien-être de l'esprit qui revigore. Tout comme la métaphysique est une discipline qui tente d’expliquer avec rationalité les raisons des faits de la physique, dans cet atelier dont le thème était la coopération contre la compétition, il peut être utile de montrer quelle méta-coopération nous avons employée. Olivier F., polytechnicien, observe la société pour y détecter quelles valeurs y émergent, Patricia J., docteur en virologie, est spécialiste de la marketisation d’innovations médicales, comment une valeur peut atteindre son marché, Olivier L., universitaire spécialiste de logistique et d’achats, de transversalité du management, connaît les techniques de conversion d’un marché en usagers, et Guillaume R., expert en analyse des systèmes de gestion, s’en fait leur rapporteur. Nous sommes donc comme 4 éléments complémentaires d’une roue pouvant tourner, s’articuler, pour permettre une prospérité de nos idées plus efficaces qu’en tentant chacun dans notre coin d’en faire commerce. Et représentant pour notre auditoire une capacité de fournir des points de vues se complétant pour y chercher une quintessence, qui va constituer le point de vue de ceux qui auront décidé d’aller nous écouter pour s’enrichir eux-mêmes. Le comportement de coopération n’est pas inné, il faut l’induire et qu’il permette une réciprocité, un partage, une justice distributive. C’est alors qu’une joie survient grâce à l’existence de cette solidarité : on n’est plus dans une solitude inquiétante, on dispose d’un soutien mutuel, d’un retour sur ce que l’on offre. On se sent alors pleinement vivant car on fait société, on voit une unité qui nous rassemble. Mais encore faut-il s’en rendre compte, avoir conscience de ce qui se produit, de la force de création collective comparé à un artiste seul. Car cet éprouvé est contagieux, se propage. On y retrouve la valeur de l’Ubuntu : je suis parce que nous sommes. En travaillant sur deux textes, un extrait de Charles Darwin publié par Olivier F. et un petit essai sur la paix économique publié par Guillaume R., nous les avons reliés avec les travaux d'Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie sur le thème des Communs, dont on retrouve une image dans le principe de production des Logiciels Libre (Open Source). On arrive à une plus grande efficacité de la production lorsqu’on s’accorde un temps de palabre préalable pour se mettre tous d’accord sur l’ouvrage qu’on se propose de réaliser ensemble, communément. Nous nous sommes attristés sur la tournure prise par les Jeux Olympiques, compétition initialement faite pour unir les nations autour d’athlètes donnant le meilleur d’eux-mêmes, cherchant à se surpasser pour l’honneur de leur peuple, moment de partage et de joie, de paix, qui est devenu un enjeu bassement politique et économique. Mais noté le modèle économique de Foot Locker qui permet en s’achetant une paire de chaussures plus onéreuse que les autres d'accéder à la particularité de série limitée, qui fait que l’on devient à la fois membre d’une communauté de clients, d’un collectif d’usagers, tout en distinguant son identité par le modèle que l’on porte. Il y a donc un désir d’être bien tous ensemble tout en affirmant sa différence, d’avoir la joie de la coopération sans l’inconvénient d’une uniformisation, tel le goût d’une aristocratie dont on serait l’un des patriciens. Car si à plusieurs on survit plus facilement que séparément, il n’est pas dans la logique de l’humanité d’être tous identiques car nous souffrions alors tous ensemble de nos carences partagées, et d’un superflu de force dans nos vertus communes. Ainsi d’une tradition de « plan de carrière, » qui évoque une mine à ciel ouvert, une extraction de minéraux, ne devrions-nous pas plutôt penser à nos « lieux d’emménagement, » notre citoyenneté, dans notre cité du travail ? Souvent dans les entreprises les équipes ont été pensées par métier et leur manager est un expert de leur métier afin de pouvoir leur prêter assistance. Ce sont des équipes de gens d'un certain identique au niveau de leurs compétences. N'aurions-nous pas de meilleures productivités de celles-ci si leurs compétences étaient transverses, complémentaires ? Ce qui fait que la compétence du manager serait davantage orientée vers l'organisation et la collaboration. Certes un travailleur aurait plus de mal à trouver main-forte pour résoudre un problème mais il y gagnerait en responsabilité et autonomie, en capacité d'aide complémentaire. Ainsi la propension à recruter des clones, issus des mêmes écoles, serait en fait contre-productive sur le plan décisionnel et créatif. |
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Septembre 2022
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