Changeant un peu du format habituel, ce sujet a été proposé par Pascal Eyries qui dans son travail de formateur aux risques d'accidents du travail a besoin d'expliquer aux manager les mécanismes de la vigilance. Si cette problématique semble avoir été étudiée par l’éthologie (survie de l'individu), la psychologie (processus), et la neurologie (capacité), elle ne semble pas avoir fait l'attention de philosophes pour ce que nous en savons. Nous sommes donc partis d'une approche empirique en songeant aux activités que nous avions menés qui comprenaient un facteur de risque et des dangers. Nous avons chacun une perception du monde qui nous est propre, qui dépend de l'attention que nous portons aux choses, et aussi des émotions qui nous portent, de nos humeurs. Nous en développons des réflexes qui nous sont propres, en l'absence d'un entraînement collectif à certaines situations. Le risque est un facteur statistique en terme de fréquence et de gravité, tandis que le danger est identifiable et avéré. Conduire avec un véhicule sur la route est dangereux et ce danger augmente avec la vitesse tandis que le risque d'accident croît avec l'alcool. Si on apporte la même vigilance sur l'autoroute que sur une départementale c'est qu'on ne se rend pas compte que le danger a considérablement augmenté malgré la meilleure qualité de chaussée et la quasi disparition du risque de choc frontal. Dans l'absolu la réalité nous est inaccessible (cf. Henri Maldiney), nous n'en avons que des visions partielles, avec nos sens ou avec l'aide d'instruments, multiples, qu'il convient de recouper pour mieux concevoir ce qu'est peut-être cette réalité. Développer ses sens, sa sensibilité, améliore la capacité de vigilance. Mais accroître son intelligence émotionnelle y contribue aussi pour analyser ses peurs et ses confiances, les unes et les autres pouvant être trompeuses, trop angoisser ou au contraire se relâcher à tort. Car il est connu que le développement de la maîtrise de la situation, par un entraînement continuel, diminue les risques pour le débutant, mais les augmente pour le chevronné qui devient ancien. Or le chevronné tend à affronter des dangers bien plus grand que le débutant. Et puis il y aussi le cas de l’Événement Non Souhaité (ENS), celui dont personne n'avait pu présager qu'il pourrait se produire un jour, et resterait peut-être unique, jamais répété, tel la création de l'Univers, un imprévu total. La vigilance est une attention, l'ouverture de ses sens, qui procède de l'éveil, comme le Christ ressuscité. C'est une affection spirituelle dans le corps de chair, ce qui fait qu'un robot, une intelligence artificielle ne peut être vigilante, elle ne peut que veiller. De cela nous tirons qu'il y a une part d'irrationalité dans la vigilance, ce n'est pas que calcul, c'est davantage de la raison, la capacité de distinguer le bien du mal. Nous avons alors relié la vigilance aux théories d'Aristote au sujet de l'ethos et de son mode d'être, car celui-ci voit la peur et l’assurance comme l'imaginaire d'une souffrance à venir mais qui n'est pas encore venue : A la base nous avons une personne qui se caractérise par un âge d'où découle un courage téméraire dans sa jeunesse qui s'amenuise pour devenir de la lâcheté lorsqu'elle devient vieille, et qui fait preuve d'une certaine fortune en terme de pouvoirs (richesse ou puissance) dont elle dispose et en terme de chance dans la vie, bénie des dieux, ou pas. Elle a également un certain degré de moralité selon les passions qui l'animent : la pitié, la responsabilité, la bienveillance, l'amour de l'autre, etc. Selon son éducation elle a eu accès à un certain niveau d'intelligence des choses, tant dans leur connaissance (informations) que dans leur compréhension. Cette vertu intellectuelle est ce qui forme sa sagesse, sa science qui adjointe à sa capacité de raisonnement lui permet de délibérer sur ce qu'il convient de faire, et de raisonner ses envies, ses désirs. Car la personne attentive est alerte et prudente, c'est un gardien, une sentinelle, elle doit le faire avec soin. D'autre part, tout comme la confiance dans les propos d'un orateur se base sur sa sagesse pratique (phronesis) qui est une forme de prudence, ses vertus (en tant que capacités), et son évnoia (εύνοια) que nous traduirons ici tant par la bienveillance que la bienfaisance, nous pouvons présumer qu'une personne, comme l'aurait peut-être dit Paul Ricoeur, peut se voir elle-même comme un autre dans son ipséité selon ces trois axes. Car n'est-ce pas finalement ce qui fait que l'on a confiance en soi : de se sentir sage, en capacité, et d'être dans la bonté de ses actes ? Les filtres perceptifs que nous appliquons sur la réalité nous font ignorer des risques, et c'est la vigilance qui permet de percer cette ignorance. L'engagement relève de la psychologie humaine[1].
Nous posons alors comme thèse que le degré de vigilance d'une personne par rapport à un risque, hors variations dues à la fatigue ou aux distractions, relève autant de l'intelligence qu'elle a de ce risque que de sa confiance en elle, voire aussi de la confiance qu'on lui accorde en terme de responsabilité. Et que sa vision, perception du danger, est pour parties rationnelle et irrationnelle. Mais nous ne sommes pas certain que lui ôter toute dimension irrationnelle serait opportun car cela pourrait diminuer ses peurs, donc ses niveaux d'hormones du stress qui sont facteurs d'attention. [1]www.psychologie-sociale.com/index.php/fr/theories/influence/10-theorie-de-l-engagement-et-de-la-dissonance
0 Commentaires
|
Auteurs
Chaque semaine des experts passionnés par un sujet se réunissent pour en débattre afin de le formaliser et le communiquer Archives
Septembre 2022
Catégories
Tous
|