A moins de naitre nanti d'un capital qui permette de vivre de ses rentes, il faut se plier à l'injonction de la Constitution de notre République qui dit que « travailler est un devoir » du citoyen. C'est tout particulièrement vrai si vous débutez votre vie adulte en étant « prolétaire », mot latin qui désignait les citoyens n'ayant aucune richesse, aucun bien. Il vous faut échanger votre besoin de vous nourrir et d'avoir un logement pour votre repos contre une activité qu'on vous rémunère. Car autrement vous seriez réduit à la vie des chasseurs-cueilleurs préhistoriques, ou à celle d'un SDF. Cela n'est pas facile, il va vous falloir trouver quelqu'un disposé à vous octroyer une part de sa richesse, de ses gains, en échange d'un labeur que vous allez effectuer de manière pérenne. Il n'y avait que dans les pays du bloc soviétique que les états se chargeaient de vous trouver une place. Étudions donc les modalités pour y parvenir : 1. Problème de base : Comment trouver les gens qui vont avoir envie de vous payer pour une activité que vous allez mener dans leur intérêt ? Il y a le facteur des compétences, acquises ou à acquérir, et ce qu’elles permettent de faire, qui doit coïncider avec deux envies à assouvir, la vôtre et celle de vos clients. Ces envies peuvent être d’accroître son confort, son pouvoir (liberté), de diminuer des difficultés, résoudre un problème, de soigner des souffrances, dans des approches matérialistes. Mais il y a aussi l’envie de piloter avec sa raison ou son instinct (habitude), d’avoir l’intuition d’idées décisives, ou de passer des moments de détente, ou encore de se réaliser soi-même, de créer des objets techniques tangibles ou virtuels (eg. Logiciels). Pour beaucoup l'activité menée doit avoir un sens, une raison d'être réalisée, une justification, sinon c'est un effort inutile. Certains trouveront ce sens dans des activités manuelles, d'autres dans des prestations intellectuelles. Cela ne résout pas la nécessité du vivre-ensemble et du travailler-ensemble où il ne suffit pas que les envies des uns soient comblées par l’utilité des autres. Car l’individu utile se trouve confronté à des émotions à l’égard de celui ou celle qu’il sert, qu’il peut trouver attirant ou repoussant, et réciproquement du servi à l'égard du travailleur. Par exemple certaines personnes sont sensibles à l’humilité et honnissent l’orgueil, mais un rapport humain peut sembler une confrontation entre un.e prince.sse et un crapaud. Certains partent de l'idée que tous les individus se valent, leurs sont égaux, quand d'autres réalisent une estimation d'eux-mêmes et des autres, attribuent des prix, selon un barème moral ou des niveaux de salaire. La mode actuelle est de le solutionner par l’adoption d’une posture, de montrer à son interlocuteur un personnage dont la sincérité est douteuse mais voulue rassurante. L’inconvénient est la tension créée, le stress et l’aliénation, le fait de ne plus être soi-même. Mais il y également le facteur d’adéquation entre les limites de compétences et les responsabilités accordées. Ne pas se montrer sous son « vrai jour » peut se révéler un piège, c'est une imposture. Cela va créer un brouillage entre une réalité tangible et la perception qu’on en a, qu’il va falloir interpréter, en déduire des intentions véritables, et éventuellement y réagir. Or les biais cognitifs sont des facteurs d'erreurs grossières d'interprétation, qui peuvent induire des attitudes (postures) et réactions totalement inappropriées. Ceci semble assez net lors des licenciement collectifs, lorsque l'envie d'employer est réduite à néant par une situation économique catastrophique, ou que l'employeur décide de délocaliser sa production vers des cieux où la main-d'œuvre est plus rentable. Tous ces départs, à présent assistés par des conseillers en outplacement, auraient pu être anticipés par une fuite progressive des talents voyant le vent tourner. La vexation induite par la perte de son emploi va entraîner tristesse ou colère, ainsi qu'une peur de ne pas retrouver un autre emploi, et un dégoût de la confiance accordée. Mais l'investissement, voire l'engagement, du travailleur n'est pas que raisonné avec méthode, il se fait aussi avec le cœur, l'intention humaine, qui le rend froid ou chaleureux, mécanique ou émotif. Peut donc interférer une situation personnelle douloureuse, deuil, divorce, ou joyeuse, naissance, mariage. L'humeur et les émotions influant sur les prises de décision. Nous voyons donc que de nos envies de départ, somme toute basiques, nous y avons ajouté des composantes de notre humanité, psychologiques, et communicationnelles. Dans cette interaction entre une envie de faire et un désir d'obtenir, des représentations de la réalité sont altérées par des effets de l'imaginaire, qui peuvent être provoqués, voulus, manipulateurs. Et c'est ensuite que peuvent survenir des critiques de l'un ou de l'autre, lorsqu'un constat de ce qui est fourni n'est pas conforme à l'imaginaire qu'on s'en était fait, que ce soit de croire qu'on a bien fait son travail, ou qu'on a bien communiqué sa commande. Il n'y a pas toujours une prise de recul pour s'objectiver soi-même, se déshumaniser, mais plus souvent une déshumanisation de l'autre. Ces facteurs sont souvent connus des gens qui ont l'habitude d'en employer d'autres, mais peu enseignés aux futurs adultes, comme s'il serait spontané de les comprendre, évident. Essayons à présent d'y trouver une raison : 2. Analyse philosophique : Nous venons, pour paraphraser Aristote, de nous « étonner sur une merveille offerte à nos yeux », et avons cherché à « savoir ce que c'est ». En soi c'est l'exposé d'une problématique, d'un frein au contrat social qui lie les concitoyens, cohabitant dans la cité. Il s'agit à présent d'en déterminer les causes, et pourquoi pas tenter l'approche des « 5 why » de Toyoda : a. Pourquoi tend t'on à déshumaniser un rapport « commercial » (interactif et économique) lorsque l'autre intervenant nous indispose ? Il peut y avoir une carence d'intelligence émotionnelle altérant notre faculté de comprendre notre indisposition, ou une carence d'intelligence raisonnable (phronesis en grec) qui altère la représentation qu'on se fait de la situation vécue, ou l'adoption de principes comportementaux fixant les rôles que chacun est supposé tenir qui peuvent être arbitraires. b. Les lacunes d'intelligence peuvent se réduire par des formations enseignant les théories sous-jacentes et apprenant à les conscientiser par des exercices pratique, mais d'où peuvent provenir ces normes sociales établissant des rôles qui ne sont pas unilatéralement connues et admises ? Cela peut provenir de traditions qui divergent entre les origines ethniques (culturelles) et les classes socio-économiques (dont Marx dit qu'elles luttent entre elles) qui transmettent des valeurs et un sens des vertus (qualités) propres à chacune. c. Le brassage des enfants voulu par l'Education Nationale, puis des jeunes adultes pendant leur Service Militaire, semblait viser la réduction de ces écarts d'idéologies sociales, mais ne doit-on pas admettre que ces classes se sont concentrées dans des quartiers urbains distincts, et que la « carte scolaire » provoque des concentrations homogènes ? Nous pourrions alors tenter d'organiser des réunions pour que les gens apprennent à se connaître, à se rendre compte qu'ils ne diffèrent pas beaucoup les uns des autres, tout en étant chacun uniques. Car nous avons tous à « faire bouillir notre marmite », nous distraire, et nous dépatouiller des tracas qui viennent émailler notre existence. d. Mais de telles réunions se produisent lorsqu'on se déplace dans les transports en commun et n'est-il pas flagrant que chaque voyageur se replie sur lui-même, souvent dans l'utilisation de son téléphone ? Il semble donc que privés de ces situation où un groupe humain subit une autorité qui le commande, les individus ne gardent de liens qu'au travers d'un « réseau » de connaissances personnelles qu'ils tiennent pour amis. C'est à dire si on suit la théorie de l'amitié d'Aristote, qu'avec des gens chez qui ils trouvent du plaisir, et/ou de l'intérêt, et/ou des qualités comparables aux leurs, ou désirées. e. Faudrait-il donc que pour retrouver une envie de se connaître, de se soutenir, les habitants d'une cité soient confronté à une source d'emmerdement commune ? (précédemment profs ou adjudants) Il est net que selon Aristote les individus épars se sont regroupés de façon urbaine lorsque l'artisanat s'est développé, ce qui doit correspondre à l'Âge du Bronze. Les gens accédaient à d'autres moyens de subsistance que l'exploitation agricole, établissaient le commerce, et se mettent à lire et à écrire. Les ennuis communs étant causés par les guerres avec les cités rivales. Or nous voici plutôt en paix en Europe depuis des décennies, et seulement menacés par le réchauffement climatique et la raréfaction des énergies fossiles. Il est par exemple flagrant de remarquer que le gouvernement américain a toujours sous le coude un « Satan de service » à combattre. Je citerai alors Saloustios (362 ap. JC) comme quasi-dernier théologue païen, disant que les démons ne sont que les serviteurs des Dieux, et que le Mal réside en l'homme, que l'on combat par ses vertus (qualités). 3. Proposition politique : Ayant identifié une cause racine, il faut y subvenir. La polis (cité) souffre d'une tension entre ceux qui ont envie de faire et ceux qui désirent recevoir, qui devraient se satisfaire mutuellement, car leur humanité les porte à des amours et désamours entre eux, du fait d'une absence d'un problème commun, d'une menace.
Pour certains le problème vient d'un actionnariat qui les presse d'un taux de rendement, pour d'autres c'est une envie de faire qui ne trouve pas d'acheteur, qui se trouvent à coïncider dans les opérations de licenciement. Mais en fait un problème commun est en eux-mêmes dans la méconnaissance des systèmes qui les régissent, interne dans le cas de la psychologie, et externe pour les principes de commerce. Le commerce étant étymologiquement les interactions sociales et les échanges économiques. Une part de solution réside dans une large formation théorique et pratique à la psychologie et aux sciences du commerce, incluant la maîtrise du numérique qui devient indispensable à la gestion de sa vie pratique. L'époque industrielle des ouvriers hommes-machine est révolue, on ne vit plus avec un emploi répétitif de tâches, et il n'y a plus que les états pour garantir des emplois à vie. Dès lors le concept de formation initiale payée par l'état, donc nos impôts, suivi de formation continue payée par son bénéficiaire est obsolète. Le citoyen est aujourd'hui tenu de se former tout au long de sa vie, et le modèle qu'un employeur qui licencie contribue à l'employabilité future des travailleurs qu'il ne veut plus est étrange. Il serait plus logique que ce soient les employeurs qui embauchent qui souffrent le coût de former leurs nouveaux salariés. La mode est au salarié prêt-à-porter, comme s'il en sortait des écoles, et le concept de l'employeur offrant une garantie d'emploi se perd. Cette insécurité d'emploi, qui se répercute sur l'accès au logement, locatif ou propriétaire, doit être admise et maîtrisée. Il n'est pas normal qu'un employeur qui recrute favorise le choix d'un candidat qu'il débauche d'un concurrent au détriment d'un autre sans emploi. Ce manque de civisme devrait être sanctionné. Les employeurs doivent se souvenir de leur rôle politique, qu'ils ne sont pas là que pour rétribuer le capital qui leur permet un outil de travail, ni succomber à la tyrannie de leurs clients despotiques, ni se faire le tyran de clients esclaves d'une situation de quasi-monopole. Il faut conserver une conscience de qui on est et de ce qu'on peut légitimement demander à autrui, et lui accorder son dû, ce qui base le concept de satisfaction en latin (paiement d'une dette). Cette optique est le volet sociétal de la norme ISO 26000 dite « RSE ». Si dans les années 1970 les économistes tels que Milton Friedman ont force de gourous, il apparaît aujourd'hui qu'une société humaine, une cité, ne peut pas fonctionner juste sur la base d'entreprises réalisant des profits. L'être humain n'est pas juste un animal, une bête de somme, qu'on peut traiter comme un cheval. D'autant plus si on admet la thèse d'Aristote qu'un humain qui passe son temps à travailler se dégrade intellectuellement, sans doute à cause de sa routine qui le maintient dans une étroitesse de point de vue, de son manque d'interactions avec des gens de divers horizons. Car « il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi ». Nous avons vu que le désir de faire doit coïncider avec un désir d'obtenir, et que les deux « contractants » (au sens du droit commercial anglo-américain, d'une transaction) doivent se plaire entre eux car ce ne sont pas des smartphones déshumanisés. Or certains tendent à voir les chômeurs comme des smartphones abandonnés, ainsi que ces inconnus, ces quidams, qu'on côtoie dans les transports en commun. Il y en a qui sont à la fête quand d'autres sont dans le tourment, l'instrument de torture. Et pour ceux-là qui ont un désir de se sentir utiles, nait un besoin que leur activité ait un sens, une raison d'être. La taylorisation des activités de service rend le poste de travail incompréhensible dans son système, et induit des hommes-ordinateurs qui mesurent des KPI, des indicateurs de performance, comme ces inspecteurs dans les usines qui chronométraient la cadence des ouvriers pour les houspiller. Ce désir de sens implique de pouvoir comprendre ce qu'on fait au sein d'un groupe d'humains plus vaste, dans lequel certains pensent qu'ils doivent afficher une posture, par exemple de chef, inspiré de mythes, de traditions, qui ne doit souffrir aucune critique. On vit dans un monde partiellement fait de faux-semblants où cerner la Vérité devient hasardeux, où finalement on se demande qui on est soi-même, qui sont ces gens qu'on côtoie, où l'ipséité de chacun est refoulée sous l'argument d'une productivité à assurer. Il n'est plus possible d'échanger pour montrer ses forces et ses faiblesses, d'apprendre une tolérance des limites individuelles, on attend la perfection humaine.
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Septembre 2022
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