Concepteurs : Françoise C., Antoine CHAIGNOT, Nicolas ROUGIERS Concept d'opinion Le concept de l'opinion diffère selon les cultures et les représentations sociales. En France on l'assimile souvent à l'opinion politique : que penser de la peine de mort, de l'avortement, du Président ? Faut-il alors faire la publicité de ses opinions ou les garder intimes ? Car cela joue sur la formation de celles de la jeunesse. Et donc comment se construit-elle ses opinions ? Sommes-nous vierges de toute influence ? Ainsi il peut arriver de rencontrer dans sa scolarité un professeur qui laisse traverser son discours par une idéologie qui prône la liberté et la contestation mais qui dans les faits se montrera autoritaire voire arbitraire et tyrannique avec ses élèves lors de contrôles et d’évaluations. Il y aura alors une dissonnance entre le contenu du discours et les actes. La psychologie sociale s'intéresse à la formation des opinions car elles conduisent à l'apparition de représentations sociales, souvent prégnantes dans les familles. Celles-ci sont-elles solides et inamovibles, ou versatiles ? Cette expression se fait aussi par l'attitude, le comportement, et se voit chez les parents, enseignants, entourage, amis. Les opinions s'expriment sur l'actualité, la politique, les gens. Souvent établies sur des a priori, on juge le bien, le sympathique. Il s'agit donc d'un jugement de valeur basé sur une interprétation. L'essor des réseaux sociaux Nous pouvons le voir sur Linkedin, aux propos publiés les gens opinent pour dire s'ils sont d'accord ou pas d'accord. Mais il faut aussi noter comment les gens osent l'exprimer dans le champ public, ou se taisent. L'absence totale de commentaires dénoterait-il des ordres implicites de se taire ? Car si on argue que « qui ne dit mot consent », en réalité ces publications visent à faire réagir afin de diffuser largement le propos. Ces opinions sont-elles alors émotionnelles ? Y'aurait-il des facteurs analogues à de la terreur, ou à la pudeur de regarder une œuvre pornographique ? Pourquoi donc ne pas toujours réagir en donnant son opinion, comme si nous n'en étions pas totalement libres ? Car certaines influences peuvent dériver en emprise. On sait que l'homme désire naturellement appartenir à des groupes car cela contribue à son identité, et que ceux-ci tendent à rechercher des consensus. L'individu manque de conscience des rouages, et finalement ne s'expriment librement que ceux qui n'ont plus rien à perdre, tels des marginaux ou des retraités, des indépendants. Les gens évitent les risques inhérents à la liberté, et peuvent avoir peur d'être catalogués. Ainsi en prenant l'exemple des éoliennes où la droite est contre, on peut trouver aussi bien des arguments justes que d'autres de mauvaise foi. Un tel sujet clivant peut devenir virulent. Nous nous demanderons alors pourquoi certains expriment leur indignation et d'autres pas. Serait-ce pour ne pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de son employeur, même si par ailleurs on est soutenu en privé ? Les gens se retiennent-ils de contredire autrui ? On en arrive même à devoir prendre des publications en photo avant qu'elles nous soient bloquées. Linkedin est-il bien un lieu de débats ? Pudeur et impudeur des opinions S'il est devenu possible d'échanger avec des scientifiques sur les RS, on peut aussi noter que certaines professions restent silencieuses. Et les partages de conférences de grands scientifiques ou les articles de fond entraînent finalement peu de commentaires. Inversement on y trouve diverses populations qui se victimisent et qui suscitent des élans de solidarité morale. Difficile donc de trouver matière à réflexion, des points de vue de qualité, dans une masse d'informations sans intérêt. En effet, émettre une opinion c'est se dévoiler, montrer une manière d'envisager le débat. L'option du dialogue, dans lequel on peut être en désaccord mais toujours unis, est assez peu usitée. Et de fait, peut-on débattre de tout ? Car débattre est par essence polémique, c'est un affrontement : le but est de convaincre l'autre par ses arguments. Or peut-on continuer de respecter quelqu'un quelles que soient ses opinions ? Tandis que dans un dialogue, en théorie les deux partis en ressortent tous deux gagnants. On peut y maintenir sa position, admettre les arguments de son protagoniste, et faire évoluer sa position si nécessaire. Alors que dans le débat le principe est que l'un a raison et que les autres ont tort. Il semble donc plus paisible de se forger une opinion par le dialogue, plutôt que de devoir céder à plus fort que soi. De plus, les opinions sont souvent des croyances, des certitudes fondées sur un récit non vérifié, ou sinon tirées d'un imaginaire en lequel on a foi. Si l'opinion est réputée volatile, la croyance est cristallisée. Conséquences épistémologiques Nous voyons donc la problématique qu'il peut se poser de vérifier une théorie par des expériences qui la corroborent. Comment savoir si une théorie est véridique ? Or c'est une nécessité humaine que de savoir se faire une opinion des théories pour savoir s'il faut les croire, et les suivre. Ainsi on trouve des idéaux de société différents (tel que le marxisme) qui ont suivi une méthodologie pour être construits, et ont créé des courants de pensée. De ce fait leurs arguments sont généralement corrects mais on peut ne pas être d'accord avec eux. Cela peut en particulier venir de biais cognitifs pour ne pas aller à l'encontre de nos pensées, et nous causer des biais de sélection. Il arrive qu'on s'arc-boute, qu'on rejette des arguments qu'on prend pour des dogmes. Alors qu'une théorie peut apporter un éclairage porteur d'idées pour aider à lire le monde. Le défaut est d'en faire une « grille » que l'on « plaque » sur quelque chose sans rapport. C'est ainsi que des théories psychologiques ont été plaquées sur l'économie (Kahneman). Faut-il donc arrêter de se poser des questions ou prendre position pour agir ? Doit-on appliquer ses convictions, en ayant conscience de ses limites ? Car comment peut-on reprocher d'appliquer une théorie ? Ne devons-nous pas être dans l'action, comme un principe moral ? Car la problématique est d'établir la valeur d'une théorie, par rapport à ses propres valeurs, et se demander si elle est supérieure aux autres. D'où le besoin de dialogues et débats. En effet ce qui touche aux sujets sociétaux s'articulent autour de principes moraux. Or une théorie scientifique est réputée neutre axiologiquement, amorale. Mais si on prend par exemple l'idée d'un « mur de la rareté » du malthusianisme, il faudrait ne pas aider les pauvres pour éviter leur multiplication. La qualité d'une théorie doit donc être jugée sur les axiomes qu'elle a pris. L'action conduit donc à chercher le changement d'opinion, et c'est par les représentations que l'on fera agir. Fabrique du consentement A partir d'amorces incitatives, qui peuvent exister temporairement comme des modes, l'individu va chercher à rationaliser ses actes. C'est ici le débat Chomsky-Lippmann sur la propagande, la fabrique du consentement. Par exemple, il sera opportun avant un vote de diffuser des images qui inclinent à certains choix. Le libre-arbitre de ses opinions est donc douteux. Chacun essaie de convaincre une population pour en tirer des suffrages permettant à son ambition de s'accomplir. Sur ce point l'État doit disposer d'un pouvoir de conviction. Il est préférable que tout le peuple adhère à la même vision, quel que soit le régime, libéral ou communiste. Ce qui rend difficile de pouvoir exprimer des opinions différentes. De fait, l'éducation permet une multitude de possibilités, pour se forger ses opinions ou se les fabriquer. On peut ainsi être séduit par une théorie ou la critiquer, mais encore faut-il pouvoir en discuter, rencontrer des controverses, l'interroger. Or nous n'apprenons pas à le faire. Nous n'avons comme exemples que les tenants de diverses théories qui s'affrontent, s'opposent. Alors que, comme en médecine, il faudrait disposer d'une attitude scientifique pour les évaluer. C'est de cette façon que l'on distingue l'art de la science, le suivi d'un dogme de l'examen des connaissances. Nous sommes trop dans le besoin d'agir, de nous agiter, pour prendre le temps de cogiter, d'agiter nos esprits. Nous cherchons des recettes toutes faites qui soient efficientes. Éducation et société Nous trouvons des « genres éducatifs » assez différents entre les universités, les écoles de management, et les écoles d'ingénieur. Si les premières apprécient les controverses, les secondes sont plus en cohésion avec le monde de l'entreprise, adeptes du pragmatisme. Le développement de l'esprit critique ne s'y pratique pas avec la même ardeur, ni la découverte de disciplines connexes. Or n'y a t'il pas un gain potentiel à apprendre aux employés à réfléchir méthodiquement ? Ne devrait-il pas y avoir une relation entre les besoins de la société et les programmes ? Faut-il ne viser que l'efficacité et la rentabilité, plutôt que l'ouverture d'esprit ? Se questionne donc l'instrumentalisation des individus, dans un contexte où il y a peu de place pour les opinions. La société est faite d'experts sachant, et de suivants. Comment la démocratie peut-elle s'y épanouir ? La simple notion de vérité est devenue incomprise, on ne l'explique plus. Celle-ci effraie car comment alors être ou faire ? Où peut-on avoir des débats contradictoires, remettre en question sa pensée ? Et tout le monde en est-il capable ? Car aujourd'hui l'objectif de la communication est devenu de raconter des histoires (storytelling) pour faire adhérer à un projet. On établit des opinions sur des faits, des statistiques, comme on jugerait un délit. Nous avons donc délégué notre pouvoir aux politiques, qui eux-mêmes s'en réfèrent aux experts. Or entre les experts choisis et ceux que nous montrent les media, les qualités ne sont pas toujours les mêmes. Nous avons ainsi vu avec le Covid tout l'écart qu'il y a entre la science et la recherche. Entre agir vite et laisser à la recherche le temps de tester ses hypothèses, nous nous sommes retrouvés avec des injonctions paradoxales. De là nous sommes victimes de biais de sélection, et du niveau de vulgarisation des discours. S'informer est devenu complexe, surtout que nous n'avons reçu aucune éducation à l'esprit critique. L'esprit critique L'approche la plus commune est de se nourrir de textes de diverses natures et opinions pour envisager divers points de vue. Or il faut disposer de loisirs pour cela. Il faut également que dès l'enfance on apprenne à se poser des questions. Le principe est de problématiser la situation sur laquelle il faut se faire une opinion. Il faut aussi pouvoir restituer un débat pour donner son opinion, comprendre les enjeux. Être curieux pour lire ceux qui ont réfléchi, et se cultiver sur la question. Mais chemin faisant il est possible de tomber sur des tenants d'une « chapelle idéologique » pour qui le principe de liberté exclut les idées hérétiques. Comment alors en discuter, et en décider démocratiquement ?
Car en l'absence de discernement, c'est s'ouvrir aux emprises, à la tyrannie. Il est important d'oser exprimer son opinion en argumentant, et d'accepter la critique, la confrontation avec des opinions divergentes, dignes de respect. Mais il faut disposer de temps pour le faire, et de personnes désireuses de « ferrailler ». Il faudra également se préparer aux arguments contraires, en les recherchant au préalable. Sera-t'on dans la certitude, ou dans la versatilité ? Jusqu'à quel point une opinion doit-elle être arrêtée ? Car c'est par cela que nous sommes ensuite en capacité de voter, de prendre une position, même si plus tard, comme on le voit avec le Brexit, il pourra y avoir des regrets du choix que l'on a fait. On aura voté pour ou contre, mais on l'aura choisi.
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Chaque semaine des experts passionnés par un sujet se réunissent pour en débattre afin de le formaliser et le communiquer Archives
Septembre 2022
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