La presse managériale, surtout américaine (exemple de Forbes [1]), se focalise sur la définition du leader idéal. Il doit être comme ceci et pas comme cela, le chef idéal qu'on suivrait jusqu'en enfer s'il le demande. Pour cela il peut donner des ordres stricts mais cela n'est plus trop en vogue, ou il peut convaincre de faire, ce qui nécessite des preuves, des arguments irréfutables, ou bien persuader de faire, ce qui est une approche plus douce, soft power. Jeff Bezos l'a compris en mettant en œuvre dans ses réunion de direction une méthodologie qu'il a reprise de la Rhétorique d'Aristote [2]. Il commence ses réunions en faisant lire un discours narratif mettant en œuvre « ethos » (personnalité, mode d'être), « logos » (discours et raison, arguments), et « pathos » (émotions). Puis il invite à en débattre. D'après l'article le résultat est d'une efficacité redoutable, ce qui était d'ailleurs l'intention d'Aristote en terme de débats politiques ou plaidoiries judiciaires. Au travers de cette approche on incite son auditoire à penser qu'il a affaire à un « type bien » qui a eu une « bonne idée. » Et on actionne des leviers psychologiques incitant à écouter le discours, à être persuadé par les indices, à défaut d'être convaincu par les arguments. De ce fait on va y souscrire de bon cœur, avec un aval rassuré par la profondeur de réflexion exposée. On pourrait alors se dire qu'il suffit de lire la Rhétorique d'Aristote pour devenir un bon manager, mais ça ne suffit pas. Il faudrait aussi lire son corollaire, l'Ethique à Nicomaque, pour que les vertus de ce manager collent à son discours. Que son ethos soit plaisant, qu'on se prenne à aimer son pathos. Car il n'y a rien de plus fragile que de déguiser ses vertus, qui finiront par être percées à jour. De ce fait il faut aussi être transparent, non dissimulé, porter les valeurs de l'entreprise avec une humeur égale et gaie car elle se propage à ses collaborateurs. Or un salarié heureux est bien plus productif qu'un salarié malheureux. On se doit donc de leur parler avec son cœur et avec son corps, être convaincu par ce que l'on avance, être enthousiaste et optimiste pour donner une confiance en son patron. Un leader inquiet inquiète, sensation que personne n'aime, qui nuit à la confiance. Car plutôt qu'un texte lu par l'assistance, autant prononcer ce discours, avec ces trois ingrédients de l'éthos, du logos, et du pathos, cela n'en rend les propos que plus vrais, expose un véritable leadership. Et d'ailleurs cette rhétorique aristotélicienne était conçue pour des débats au Parlement ou des plaidoiries dans un tribunal, pas pour écrire des récits héroïques. Dans son approche le patron doit valoriser et responsabiliser son équipe, dire que l'on compte sur elle, susciter l'adhésion au projet, se montrer bienveillant pour, comme le disait aussi Fayol, que les collaborateurs se sentent heureux de se dévouer pour l'entreprise, d'y travailler avec le plaisir d'y aller le matin. Car lorsqu'on est malheureux à son travail on sera tenté d'aller voir son médecin dès le moindre petit souci de santé, soucis qui surviendront plus vite, voire de façon psychosomatique. L'esprit, la psyché, fait beaucoup pour la bonne santé du corps. Le repos nocturne ou dominical ne repose pas que le corps, il repose aussi l'âme. Et l'exténuer au travail par un stress excessif n'est pas bon pour la personne que l'on emploie. Si donc cette technique de Jeff Bezos est d'une nature noble, la manière dont il l'emploie la détourne de sa vocation qui n'est pas que la persuasion, mais aussi le lien humain entre l'orateur et l'auditeur. 1:https://www.forbes.com/sites/lizryan/2016/07/02/ten-things-a-good-manager-wont-ask-employees-to-do/ 2:https://www.inc.com/carmine-gallo/jeff-bezos-bans-powerpoint-in-meetings-his-replacement-is-brilliant.html
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Chaque semaine des experts passionnés par un sujet se réunissent pour en débattre afin de le formaliser et le communiquer Archives
Septembre 2022
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