Lorsqu'on se lance dans une activité, en général d'autres l'exercent déjà et on s'emploiera à les imiter avant d'éventuellement développer ses propres méthodes. C'est le principe de l'apprentissage des artisans. La différenciation concurrentielle va alors être sur l'habileté et la déontologie.
Mais si l'activité est assez nouvelle tout peut être inventé avec une forme de darwinisme entre les choix des praticiens. Pour la philosophie sa vocation varie selon ceux qui l'ont étudié. Certains y voient l'élaboration de la pensée, d'autres des méthodes de communication, ou d'investigation, alors que j'y trouve une finalité d'établir des vérités avant que les scientifiques s'y intéressent.
Mais ceux qui se passionnent pour cette discipline y voient aussi des points de vue divers sur des sujets de société, y trouvent de l'inspiration pour régler leur propre vie. La différence se situe entre lire pour s'orienter soi-même, ou déduire de ces lectures des recommandations et des conseils qu'on va prodiguer, en donnant soi-même son point de vue.
Or une demande actuelle du gouvernement est de former la population, jeune ou âgée, à l'esprit critique. Avec Internet nous sommes inondés de nouvelles et de recommandations, et la réaction des gens est d'opiner, de dire ce qu'ils en pensent. Assez peu contredisent ce qui est annoncé, dénoncent les illogismes, ou cherchent les rapports de cause à effet. La plupart s'insurgent de ce qui se produit.
Modalités pratiques
Sur une thématique la réflexion peut prendre deux formes : soit établir un discours en prenant le temps d'organiser l'ordre de ses idées, ce qui peut avoir un but didactique, soit se demander à l'improviste de quoi il s'agit, en discuter à bâtons rompus. Le résultat n'est alors pas le même entre une analyse et un temps d'échange où se confrontent les idées.
La question est alors de savoir ce qu'on recherche. Veut-on se cultiver en apprenant ce que sont les idées des gens, ou affiner ses propres avis en les comparant aux autres ? Est-on dans une démarche égoïste d'amélioration de soi, une générosité pour savoir quoi prodiguer, conseiller, ou un plaisir de relations sociales qui nourrit le bien-être ?
Le critère va être dans le choix de l'autorité : beaucoup élisent des auteurs et croient ce qu'ils disent, peu décident d'être leurs propres auteurs, de s'inventer eux-mêmes, et de devenir une autorité à l'égard des autres. Visiblement le ratio de ceux-ci serait de 10% de la population.
Désirez-vous alors pouvoir vous exprimer ? Supportez-vous qu'on ne soit pas de votre avis ? Vos idées sont-elles les seules valables ? Voulez-vous les perfectionner avec les avis d'autrui ?
Application
Sur certains sujets de société, par exemple l'éthique, il y a eu des gens doctes qui s'y sont penchés et ont publié leur avis en le soutenant par un argumentaire, et puis une multitude de gens ordinaires qui s'en sont fait une idée personnelle, de manière autonome. Or quand dans un groupe social tel qu'une entreprise la question se pose d'établir une éthique collective, faut-il s'appuyer sur les doctes qui font autorité, ou sur les avis individuels membres du groupe ?
Si le groupe prime sur l'autorité externe c'est le principe de la secte, et le plus doué en rhétorique tiendra lieu de gourou. L'intérêt des rares autorités doctes qui définissent les choses, c'est que tous les groupes appliquent le même procédé, comme une standardisation. Ainsi lorsqu'un client hésite entre vous solliciter ou aller voir un de vos confrères, il saura qu'il sera servi de la même façon, avec le même niveau de qualité.
Or la problématique est dans le temps consacré à l'analyse, sa profondeur de réflexion, les tenants et aboutissants considérés, puis l'élaboration du discours didactique et persuasif pour que tout le groupe adhère à l'idée proposée. Souvent ça se réduit à des ordres simples imposés par le pouvoir de la hiérarchie à laquelle les employés sont subordonnés. C'est de l'autoritarisme.
Résultat
Au lieu de se fier à des auteurs selon le degré avec lequel on peut leur faire confiance, les participants d'un atelier vont construire ce qui leur paraît une vérité admissible collectivement. Et au lieu d'une simple opinion intuitive, leur pensée va s'élaborer grâce aux arguments de chacun. A l'issue de l'atelier ils peuvent avoir admis une vision du sujet différente de leur idée initiale.
Cela revient à l'antique démarche des palabres. Les gens cherchent à se mettre d'accord entre eux, visent une harmonie, et à progresser par les apports des uns et des autres sur leurs connaissances. C'est moins direct qu'une conférence où on vous présente une unique option, à prendre ou à laisser, mais cela accroît la cohésion d'un groupe, son unité, et apprend à dialoguer sans s'imposer.
Chaque participant profite de la reconnaissance que lui apporte le groupe lorsqu'il s'exprime. Au lieu de lui répondre par une opinion, on le questionne pour savoir ce que signifie son idée. Car en général les gens expriment des idées très arrêtées sur un sujet et ne cherchent pas le consensus. Un esprit de groupe est donc difficile à bâtir, voire parfois même non souhaité.
En effet sur l'exemple de l'éthique il est flagrant que nous sommes témoins de la parabole des « six aveugles et de l'éléphant ». Chacun n'en voit qu'une partie et imagine que le reste est identique, au lieu de se demander si l'objet de curiosité pourrait être protéiforme. Donc les gens se bagarrent pour savoir qui a raison, qui se trompe, misant sur des « champions » (académiques) pour remporter le combat. Ça n'est pas la raison qui triomphe mais le talent de persuasion.
Témoignages
« Je vois ces ateliers comme un espace pour révéler sa propre pensée en la mettant en perspective avec celles d’autres venant d’autres horizons et le praticien philosophe fait découvrir les analogies les écarts les complémentaires et en ressort une « théorie grille de lecture » sur un thème. Cette « théorie » spécifique à un atelier et à ses participants me semble accompagner les participants à penser un thème avec à la fois d’autres perspectives et une nouvelle théorie tout en respectant les spécificités de penser individuelles . »
« La question semble être : Comment (bien) penser ensemble ? et elle est complexe par ce qu'il ya une condition qui est posée à côté, comme un garde fou : "le but n'est-il pas que chacun soit le chef de lui-même ?" C'est ce que nous expérimentons dans les ateliers et l'on voit combien c'est difficile ; difficultés auxquelles nous renvoit un malin génie en nous mettant face à la retranscription de notre discours..et à le lire, à chaque point d'achoppement , manque de fluidité dans le propos, apparait la difficulté à penser ensemble tout en restant chacun soi même et en respectant les autres. »