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Liberté de l'être ?

23/6/2020

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Dans « Système 1 Système 2 » Daniel Kahneman relate un test effectué sur des « cobayes humains » auxquels il demanda si un certain « Steve » qui a une personnalité réservée et méticuleuse ferait un meilleur job comme bibliothécaire ou comme agriculteur, nonobstant les appétences de celui-ci pour l’une ou l’autre activité. Son panel de sondés a principalement répondu qu’il devrait être bibliothécaire ce qui montre qu’ils n’avaient aucune empathie pour les goûts de « Steve » et donc qu’eux-mêmes n’accordent pas d’importance aux volontés individuelles et considèrent l’homme comme un outil au service de la société, un instrument.

Avec une telle population il est donc vain de rêver exercer des activités plaisantes, il vaut mieux s’astreindre à ce que votre personnalité innée vous conduit, ou alors réaliser un travail sur soi de falsification pour ressembler à quelqu’un d’inauthentique, à une imposture. On pourra écouter Roland Gori sur ce sujet.

Car le principe de prédisposition pose la question de la liberté dans ce qu’on entreprend. On se retrouve dans un esclavage imposé par l’image donnée à la société. Nous serions réifiés selon le hasard de la formation de notre personnalité, comme des fourmis astreintes à servir leur société.

Le problème est donc dans le stéréotype où on ne s’attend pas à des bibliothécaires extravertis car la lecture se conçoit dans des endroits calmes. La plupart des gens ont de la peine à se concentrer sur un texte dans un lieu bruyant et ils désirent des « gardiens du temple » de la culture. Ils présument que ceux et celles qui y travaillent l’ont voulu, n’y ont pas été contraints à cause de leur nature, ou ne sont pas dans une lutte interne constante pour résister à une envie d’agir inconvenante.

Ceci ressemble beaucoup à la démarche de dressage des chiens et chevaux… Le comportement est conditionné par une éducation correctrice. Autrement on parlera de trouble de la personnalité lorsque celle-ci disconvient aux usages, surtout si elle s’avère dangereuse.
Photo
Portraits © Stéphane Cailler 2020

Être et apparence, quid des valeurs ?

La question se pose donc de l’être et du paraître. Il faudrait ressembler à l’être que les gens s’attendent à trouver lorsqu’ils vous abordent, ou sinon se travestir lorsqu’on joue un personnage qui convient au métier que l’on exerce. L’activité est donc restreinte au delà de l’aptitude d’un savoir-faire par le préjugé de ceux qui y trouveront un plaisir à l’exercer, et y seront efficaces. On ne s’attend pas à ce qu’un comptable ait une allure de junkie, ou qu’un junkie vous explique des techniques d’optimisation fiscales.

Or vers le début du XXe siècle, comme l’explique Heidegger dans son Introduction à la métaphysique, l’être qui depuis Kant était animé par ses droits et devoirs est devenu guidé par ses valeurs. La valeur établi ce qui paraît bon et ce qui semble mauvais, indépendamment de sa véracité. Elle est au départ inculquée à l’enfant par son environnement, puis redéfinie de manière plus autonome à l’adolescence. La conséquence est alors que certaines valeurs sont le propre de certains groupes sociaux comme une forme de culture. Ainsi on présume le chef d’entreprise avec des idées de droite et l’enseignant avec des idées de gauche.

Mais l’inconvénient des valeurs, surtout avec les recherches en psychologie sociale qui ont cherché à stéréotyper les peuples selon les valeurs dominantes dans chaque nation, est que cela entraîne un potentiel racisme lorsqu’on pense ses valeurs meilleures que celles des autres, puis un possible désir d’hégémonie pour convertir les autres peuples aux valeurs qu’on juge bonnes si on croit en l’universalisme de celles-ci. Ainsi que ce soit à une échelle macroscopique de pouvoir choisir le pays où on irait vivre qu’à une échelle plus microscopique d’une école, d’une entreprise, ou d’une église, il vaut mieux que vos valeurs soient compatibles avec la société dans laquelle vous vous immergez pour ne pas en être rejeté. Et à l’opposé si vous vous pliez à un comportement induit par les valeurs locales alors qu’elle contreviennent aux vôtres, vous allez être en dissonance cognitive, dans une tension émotionnelle nécessitant d’ajuster vos croyances pour justifier vos actes.

Concilier valeurs, compétences, activités,
et apparence

Il s’agit donc de réconcilier les valeurs en lesquelles on croit, ses aptitudes et habiletés professionnelles, les activités qu’on aime exercer, et l’apparence qu’on donne de soi par l’aspect et le comportement, avec le milieu dans lequel on réussira à les combiner avec la bénédiction de ceux qui s’y trouvent. Cela change l’idéologie de l’Ikigai en vogue voulant concilier aptitudes, besoins de la société, goût de l’activité, et marchandisation de l’activité. Il devient plus important d’être bien intégré, d’être apprécié par le milieu qui nous entoure sans se livrer à des impostures, plutôt que se faire plaisir égoïstement. La tolérance de celui-ci à la diversité devient essentielle pour admettre des talents variés.

Hélas dans les modes de recrutement on présente les qualités de la société et le rôle du service où se situe le poste, les activités dont sera chargé l’impétrant, et les qualités qu’il devra avoir pour l’être. Il n’est pas expliqué que les valeurs des uns et des autres doivent s’accorder, ni l’ambiance qui règne dans les équipes de travail. Il est présumé que le travailleur s’y adaptera pour ne pas périr. Le manager fait peu de cas du risque que son équipe rejette le nouvel arrivant, comme si son autorité prévalait sur les considérations de ses collaborateurs. Les gens sont présumés sociables entre eux, accueillants.

Car l’aspect crucial reste la capacité de pouvoir s’exprimer, propos et apparence, sans se sentir sur un qui-vive brimant l’essence de son être. Mots ou comportements peuvent déclencher des émotions chez ceux à qui on se manifeste, et qui au lieu d’être analysées pour être comprises provoquent des réactions pas toujours désirables. Ainsi dans un groupe certain.e.s peuvent parler beaucoup et d’autres se taire, sans qu’on sache s’ils approuvent ou réprouvent cette expression, ni considérer l’importance qu’on accorde à leur jugement, à leur estime.

C’est à dire que Heidegger oublie un élément dans sa spécification de l’être qui est son interaction avec son écosystème : quelle action a t’il, et avec qui ou quoi interagit-il ? Est-il indépendant ou un maillon d’un ensemble plus vaste ? Exerce t’il un contrôle sur d’autres êtres ? Est-il un prédateur ou une nourriture, ou l’artisan d’un bienfait ou d’un méfait ? L’être doit se concevoir comme existant parmi une foule d’autres êtres avec lesquels il est potentiellement en relation, avec une situation de dominant ou dominé, d’inclus ou d’exclus, selon les cas.

L’être dans sa société

De là cet être va-t’il avoir une influence sur son entourage ou n’être qu’un bruit, et sera-t’il influencé par d’autres êtres, à la manière dont la Terre et la Lune s’influencent mutuellement ? Cette influence sera-t’elle gagnée par habileté progressivement, ou imposée d’un coup par le fait d’une nomination ? Son pouvoir s’exercera-t’il alors de façon savante et sage, prudente, ou de façon totalement erratique et irréfléchie ? Sera-t’il meneur (leader) ou dirigiste ? Voudra-t’il que son influence s’étende ou reste cantonnée dans des frontières rassurantes ?

Mais cet entourage va-t’il de son côté accepter cette influence, qu’elle soit statutaire et librement consentie ou naturelle et imposée ? Ainsi l’électeur qui voit élire un dirigeant qu’il n’a pas choisi se pliera t’il au choix de la majorité qui l’a désigné ? « Steve » acceptera-t’il que la majorité des gens l’assignent à un rôle de bibliothécaire alors qu’il rêve d’être au milieu des champs ? Le malade qui consulte un médecin approuvera-t’il le soin qu’il veut lui prodiguer ? Cette influence qui devient ainsi autorité n’est pas nécessairement admise, et ce qu’elle cherche à faire peut être totalement ignoré, méprisé. 

C’est alors qu’est apparu en Occident la raison d’être. Il ne suffit plus d’exister en essayant d’être heureux, on s’est rendu compte que pour beaucoup de gens ne pas avoir un motif à cette existence faisait perdre la saveur de la vie. Pour ne pas être en dissonance cognitive il faut pouvoir se justifier d’un but, qu’il soit fonction sociale (ou économique) ou accomplissement de soi. Les symptomes du burn-out incluent la perte de ce sens d’accomplissement qui conduit à une dépression, à un sentiment d’échec insupportable. Pour eux l’existence doit avoir un sens, une signification, qui permet d’en établir sa valeur, car autrement elle serait absurde. De Anaxagore à Leibniz les choses doivent être intelligibles.

Comme l’indique Sartre le fait que notre existence n’aurait pas de signification pourrait conduire à nous croire de trop. Cette signification trouvée dans le courant de l’existence, découverte, serait subjective, propre à chacun de nous et déterminerait notre essence. De même que nous agissons en général avec un but, une finalité, nous devrions vivre dans l’optique d’une téléologie, d’atteindre une situation dans laquelle nous serons parvenus à vivre ce que nous voulons réaliser. Il serait alors supposé que cette situation contribue à la société, à l’environnement, à l’économie, comme un servant dédié. En vérité il me semble que cet objectif est la pension de retraite pour la plupart des gens. Le congé permanent.

Conclusion

L’être moderne n’est pas pensé comme le firent les philosophes. Il n’y a pas de considérations métaphysiques mais plutôt une volonté d’ordre que les gens occupent une place où il se sentent bien et que leur entourage approuve ce choix. Cet être n’est pas statique, et ses perceptions impliquent des sensations plaisantes ou déplaisantes, ce qui l’entraîne dans une fonction. L’être est devenu un outil, un instrument au service du bien commun, qu’on choit s’il est bénéfique ou qu’on conspue s’il cause des torts, gère mal les aléas qui nuisent à sa communauté. Sa liberté d’agir est restreinte par l’opinion qu’on a de lui, plus que par ses compétences ou moyens d’agir. Il lui faut se trouver des partisans.

Que devient alors sa psyché, cette âme qui l’anime, qu’on croyait être pensée ? Comme le suggère Kahneman réfléchir serait fatiguant et l’être déciderait sur la base d’intuitions comme des automatismes. Il ne serait donc qu’un animal peu doué de raison, motivé par des pulsions inconscientes qui découleraient de son conditionnement : en faisant réfléchir des étudiants sur la mort on a remarqué qu’ils se déplaçaient ensuite moins vite que ceux ayant étudié la joie. Dans ce cas que devient la théorie de Descartes disant que le fait de penser indique que l’on est ? Ne serions nous que le fruit de nos volontés inconscientes que nous rationaliserions a posteriori ?
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    Guillaume

    International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations.

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