Le pouvoir est quelque chose qui m'a toujours intrigué. Je suis à peu près capable de savoir ce que je peux faire, avec une tendance à me sous-estimer, à ne pas risquer de découvrir qu'en tentant quelque chose je me rende compte que je ne le peux pas. Et puis je vois bien que certaines personnes ont la capacité d'avoir du pouvoir sur moi, ils peuvent me nuire, ou frustrer mes possibilités d'action, restreindre mes libertés. Si je reconnais ce droit à certains tels que les élus ou leurs fonctionnaires car je sais que leurs pouvoirs sont contrôlés, ont des contre-rôles, je n'aime pas du tout être contrôlé dans mes pouvoirs par quelqu'un sur lequel je n'aurais aucune prise. Il y a un paradoxe entre la mesure réalisée par Geert Hofstede à propos de l'appétence des français pour la distance hiérarchique[1] et le concept d'égalité des droits des citoyens français. Il le lie à l'éducation des enfants dans un lien émotionnel fort, que les gens n'obéissent pas toujours aux ordres qu'ils ont prétendu accepter de suivre, et qu'ils sont prompts aux grèves et révoltes. Evidemment je n'ai pas été élevé ainsi, et je ne travaille (donc ?) pas comme cela. Néanmoins pour que j'accepte des directions, celui qui me les donne doit me donner l'impression qu'il les connaît mieux que moi. Et ceux-là sont alors agacés si je leur demande de m'expliquer pourquoi, sans doute parce qu'ils le ressentent comme une forme de mépris. Or s'il y a égalité des droits dans l'Etat, entre citoyens, il n'y en a pas dans une entreprise ou dans une école. Le citoyen-manager est supposé (par le Code du Travail) donner des instructions au citoyen-employé, celui-ci dépend de celui-là, il n'est pas indépendant. Le manager gouverne son équipe, c'est un conducteur, un gubernator, un timonier. Tandis que dans mon cas je serais plus un nostalgique de la gouvernance aristocratique : il faut que celui qui veut me diriger montre de l'excellence, des vertus irréprochables. C'est le principe du goût pour la noblesse dans le travail dont parle Philippe d'Iribarne dans L'étrangeté française. Je ne dois donc pas être un cas totalement isolé. Et puis si ce « chef » ne me paie pas, voire que je dois le payer pour qu'il me gouverne (frais de scolarité), je me place alors comme son égal ou son employeur, ce qui ferait de moi son gubernator. Ce qui amène à la question de la légitimité du pouvoir que peuvent exercer ceux qui ont de l'argent sur ceux qui en demandent. Lorsqu'il s'agit d'un argent collectif comme celui d'une entreprise, le payeur n'est pas trop ému de rétribuer, mais lorsqu'il s'agit d'argent qu'il a laborieusement gagné, il entend le donner en échange d'un travail qui lui plaît, qu'il trouve bon. Il y a aussi le cas de ceux qui gagnent de l'argent facilement mais sont radins, avares. A l'inverse on peut être chanceux avec un chef bienveillant, probablement paternaliste si ça n'est pas du patronage, dont l'époque du Catholicisme social nous a fourni de nombreux exemples, ce qu'on appelait en anglais le welfare capitalism. Un pouvoir doit disposer d'un levier pour exercer sa puissance. Cela peut être la force brute, le fait d'être en mesure de blesser avec des armes, d'être violent, ou de pouvoir distribuer quelque chose à ceux qui en ont besoin. Le bâton ou la carotte. Ainsi les compagnies d'eau ou d'électricité ont un pouvoir sur vous, elles sont en mesure de vous faire chanter. Avoir un puit et une éolienne procure de l'indépendance. Mais cela peut aussi se réaliser avec un soft power, une influence motivée par un soutien ou un intérêt, lorsque la relation dominant-dominé n'est pas contractualisée, officielle. Une possibilité d'influence est d'orienter les opinions du public positivement ou négativement à l'égard de quelqu'un, l'acclamation ou l'ostracisme moral. Il s'agit alors d'autorité morale, tel un groupe religieux. Ensuite il y a le caractère de l'autorité qui serait un pouvoir, une supériorité, ne reposant que sur un statut, une science indispensable. Par exemple lorsque vous allez voir un médecin, c'est en général parce que vous êtes malade, pas pour vous distraire avec une conversation agréable, et si vous pouvez l'appeler « monsieur », il appréciera d'être appelé « docteur » du fait qu'il est docte, savant. Mais rien ne vous oblige à suivre son ordonnance, si ce n'est votre bonne volonté, et votre bon sens. De même le plombier ou l'électricien s'attend à ce qu'on lui reconnaisse une autorité sur la résolution des problème où il est expert. Quant à ceux qui admettent le concept de « grade » à l'instar de l'armée, un statut que l'on présume acquis par le mérite, les compétences, il peut aussi y avoir reconnaissance de ce type d'autorité. Reconnaître une autorité c'est faire allégeance, c'est se placer dans ce que les romains appelaient le lien de « clientèle », ce qui impliquait un devoir de protection du patron sur ses clients, ses protégés. Qu'on retrouve ensuite dans la société franque avec la vassalité. Or si l'Etat démontre un souci de protection des citoyens avec les « gardiens de la paix » (soldats, policiers), c'est beaucoup moins évident avec les employeurs et les enseignants qui ont un pouvoir discrétionnaire de noter leurs subalternes, de formuler un avis sur eux. Leur bienveillance est parfois obscure. J'ai été soumis une fois dans ma vie à un « entretien annuel d'évaluation » et mon manager l'a regretté. Aucun autre n'a ensuite retenté ce jeu avec moi ! Je veux bien être géré, administré, mais surtout pas managé. De là découle l'aspect de la souveraineté. Dans quelle mesure est-on capable d'être souverain sur ses terres ? « My home is my castle » disent les Anglais. S'y conduit-on en monarque avisé ou en despote tyrannique ? Traite t'on les citoyens qui y vivent comme ses sujets, ou comme des égaux ? Hofstede suggère que les parents d'enfants français se comportent avec eux comme s'ils étaient leurs seigneurs, leurs suzerains. Forcément le jeune enfant est dans une situation de dépendance. Or la première des conditions pour que la souveraineté ne soit pas spoliée par une tentative d'aliénation d'autrui est d'être en mesure de se défendre, de faire respecter ses droits. Mais qu'en conséquence, pour ne pas créer de casus belli avec un suzerain, ou provoquer une révolte, il faut accomplir les devoirs qui sont dus, en particulier la protection des gens qui dépendent de vous. Cependant pour que règne une quiétude dans une société, que ce soit dans une famille ou dans ses relations avec ses voisins, ou dans le corps social d'une entreprise, il faut qu'il y ait un certain consensus dans les comportements à tenir. C'est là où les principes de l'éthique interviennent pour permettre la cohésion nécessaire pour atteindre ces consensus. Ces principes doivent être communément admis, pour qu'en découlent des règles morales, dont on pourra définir une déontologie, un embryon de législation. Par exemple ces principes doivent définir quelles formes l'autorité peut revêtir, quelles sanctions sont permises, où sont les limites. Mais cela ne serait possible que dans une société où nous serions tous égaux, où personne n'essaierait d'un contrôler un autre que lui. [1] https://www.hofstede-insights.com/country-comparison/france,the-usa/
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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