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L'art de gouverner

25/3/2020

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Le débat Lippmann-Dewey

Barbara Stiegler nous explique dans « Il faut s'adapter » le principe du libéralisme dont on peut retrouver les germes chez Hobbes dans le « Léviathan ». A cette époque où Descartes prétend que « le bon sens est la chose la mieux partagée », on se met à penser les individus comme étant tous capables de savoir choisir ce qui est le mieux pour eux afin ne plus être assujettis à un souverain qui leur commanderait leurs vies. A bas les tyrans, vive la liberté. Mais il y a néanmoins besoin pour le pays d'infrastructures, de routes, d'écoles, d'une armée, d'hôpitaux, de police, de justice, d'équipements collectifs. Au lieu d'escompter que des volontaires s'y lanceront moyennant péage, bénéfices, il faut conserver une régulation de l'ensemble qui soit coordonnée, et donc dirigée. Le peuple se nomme alors un régisseur de son état, avec son comité de direction, qui emploie une armée de fonctionnaires zélés. Car régir vient du latin regere qui signifie « diriger, conduire, mener ».

Or ce regus n'est pas omniscient, et doit arbitrer entre l'intérêt général et sa popularité, pour faire admettre des décisions parfois impopulaires guidées par des nécessités ou par des lobbies d'influence. Lippmann recommanda alors l'usage de la propagande pour faire admettre des idées novatrices au peuple, et Dewey conseilla que le peuple discute avec lui-même largement pour se rendre compte des besoins de direction. L'un comme l'autre se basaient sur le concept de « rationalité limité » que les neurosciences sont actuellement en train de démontrer. L'individu citoyen n'a pas accès à suffisamment d'information pour être aussi savant que son roi, et en plus est porté à réagir émotivement, instinctivement, plutôt qu'avec la froideur d'une intelligence électronique. Il s'émeut, tandis que le regus a la possibilité de se faire conseiller par des experts, des savants spécialistes du domaine sur lequel une décision doit être prise.

Ça devient intéressant lorsque la nécessité de décider est urgente, qu'il n'y a pas de temps disponible pour mettre en place une propagande facilitatrice, et que la cause qui oblige à des mesures est totalement nouvelle, non répertoriée par la science. Nous sommes dans la situation de ces films d'anticipation où la Terre est attaquée par des aliens, des barbares inconnus. Un mal étrange sévit et terrasse la population. Un petit animal africain a réussi une mutation biologique pour riposter à sa consommation par les habitants d'un autre continent que le sien. Il s'est rendu incomestible. Et non seulement une hécatombe s'en suit pour laquelle le regus doit protéger le peuple afin qu'il ne périsse pas, mais les infrastructures n'ont pas été prévues pour un tel cas, et le confinement décidé met toute l'économie en péril, rompant la routine des citoyens qui n'ont pas été préparés à une telle situation.

De la même manière qu'à Rome dans l'antiquité, lorsque le péril menace, on passe à la dictature.

Comment utiliser son loisir ?

Nous avons regardé les principes de gouvernance d'un état en temps normal et en temps difficile, voyons comment nous gouverner nous-mêmes si nous sommes de ceux qui doivent rester confinés sans possibilité d'un télétravail. A part ceux et celles qui étaient en recherche d'emploi, les autres étaient occupés, et pour 90% (source DARES et INSEE) les employés d'un dirigeant, qu'il soit patron ou régisseur délégué. Ils ne se gouvernaient donc pas totalement eux-mêmes, et cette situation peut être inédite pour eux. Car notre maxime veut que « gouverner c'est prévoir », qui ne veut pas dire planifier comme le pensent des anglophones, mais to get prepared for the future.

Jusqu'à présent le loisir était synonyme de divertissement : apparu avec les congés payés et la semaine de 5 jours travaillé, le temps libre servait à oublier le temps de l'effort, à se reposer, pour être en forme pour reprendre le travail. Mais cela était nécessaire dans l'idée que le travail était souffrance, torture, dérivé du mot tripalium. Depuis peu le loisir est devenu pour beaucoup de gens leur quotidien, et on chuchote que la reprise économique pourra entraîner la suppression des congés estivaux. Non seulement nous sommes assignés à résidence comme des petits délinquants, mais nous pourrions ne pas goûter cette année aux délices des jours ensoleillés. Double peine. Comment donc alors pouvoir justifier que dans quelques mois nous mériterons comme chaque année un temps de repos, en sachant que ceux qui ne sont pas confinés bossent d'arrache-pied, plus que coutume ?

Si les latin appelaient otium le loisir, et neg-otium le temps consacré au travail (qui s'appelait alors opera), les grecs l'appelaient scholé (σχολή), d'où dérive le mot école. L'équivalent du negotium latin y était l'ascholé (ασχολή), l'occupation. On peut alors se demander sous l'angle libéral des choix guidés par le bon sens, s'il faut rester oisif ou s'occuper, et si le temps de l'école n'en serait pas un moyen ? Car comment l'employeur pourrait-il blâmer que son personnel se forme plutôt que chômer à ne rien faire ? Ne tirerait-il pas bénéfice à ce que ses employés reprennent le travail en étant plus efficaces qu'avant ? Est-ce à lui en tant que régisseur de l'entreprise d'imposer l'éducation de son personnel d'une manière dictatoriale, ou à celui-ci de se responsabiliser en étant curieux de ce qu'il devrait apprendre ? La nouveauté étant qu'au lieu de classes en présentiel, il va falloir se mettre au « home-schooling ».
Mais une autre occupation possible du loisir, comme l'expliqua Sénèque, est de penser. Cette pensée reste stérile lorsqu'elle est gardée pour soi, univers des idées, et devient féconde lorsqu'on la transforme pour être communiquée. En effet ses idées vont alors éclairer les pensées des autres, en enrichissant leurs points de vue afin d'éviter leur sclérose. Elles ne sont pas toujours accueillies avec joie, peuvent attiser des colères d'un avis jugé mauvais, car il est agaçant d'entendre un conseil venant d'un plus ignorant que soi, tout comme on trouve pédant celui qui en sait trop. Je crois que nous avons été traumatisés par l'école et avons du mal à admettre le bénéfice de mettre en commun nos savoirs pour penser plus juste. Nous avons été conditionnés pour admettre un règne des experts, pas à savoir comment penser avec efficacité.
Photo
Rêve de routine © Nicolas Rosquin 2020
Car pour se gouverner soi-même il faut pouvoir penser à son avenir, en avoir une idée, se demander si on reste identique à ce que l'on est déjà, ou progresser avec de préférence une amélioration. Notre pays nous montre qu'on peut être brutalement frappé par une maladie sans moyen de secours mutuel et risquer une ruine cynique. Le patronat n'est plus en mesure de protéger les laborieux. Mais il faut aussi pouvoir prendre des avis auprès de savants, tout en gardant le pouvoir de décider. C'est je crois sur cet aspect que notre société doit progresser : former des savants du travail qui conseillent.
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    Guillaume

    International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations.

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