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Faut-il être charitable ?

4/11/2020

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Dans l'acception courante la charité consiste à donner de l'argent aux pauvres. Cela s'est même institutionnalisé dans l'Islam sous la forme d'une taxe annuelle sur la fortune qui est redistribuée aux nécessiteux. Mais originellement en latin la cāritās est la cherté, l'inestimable, et donc un amour, une affection qui se caractérise par une gentillesse et une compréhension à l'égard des autres. C'est par ce mot latin qu'a été traduit le grec agapé (ἀγάπη) qui est le cœur des Évangiles chrétiens, et que certains appellent aujourd'hui « l'amour inconditionnel ». La notion d'estime me paraît fondamentale car en son absence le risque est le mépris, comme semblent le montrer le Cohen et le Lévite à l'égard du mourant dans la « Parabole du bon samaritain ».

Cela voudrait alors dire que cette affection se rapporte à la valeur que l'on accorde aux gens. On notera l’anecdote rapportée par Laërce d'Aristote donnant une aumône à un « bon à rien », ce que lui reprocha un proche, en disant que « ce n'était pas de sa conduite mais de l'homme dont il avait eu pitié ». Il n'est donc pas toujours naturel d'accorder une aumône à un être humain qui ne réussit pas à se doter des moyens d'existence par un commerce de son travail ou un négoce. En effet ces personnes consomment pour vivre sans rien fournir en retour. Elle paraissent être des parasites. Ce qui induirait que la valeur accordée à quelqu'un dépendrait de son activité, de ses accomplissements, d'où découleraient honneur et dignité. Les gens auraient une forme de prix, et seraient donc commercialisables, sur des marchés particuliers, comme semble le montrer le mécanisme de la corruption par l'argent.

Mais l'exemple de l'amour du Samaritain, ἀγάπη ou cāritās, peut-il permettre d'établir un sens qui fasse qu'en écrivant « mon cher » à un ami, vous ne le placiez pas comme un sujet d'une valeur que vous pourriez revendre avec une marge, mais comme un ami, quelqu'un que vous aimez, et dont vous prenez soin ? Car ce Samaritain prend soin du mourant, tant dans le sens d'un souci (care en anglais) que d'un apport thérapeutique (heal) en allant le faire profiter d'un lit d'hôtel. Il ne tient pas compte de leurs « valeurs » respectives, le mourant ne « valant plus grand-chose » et le Samaritain étant dévalorisé par les autres juifs. Dans ce cas « l'amour inconditionnel » serait-il d'être soigneux et soignant à l'égard des autres, quelles qu'en soient leurs dignités ?

Dès lors il semble que pour ne pas être en dissonance cognitive entre le soin porté et ses sentiments, il faudrait que cet amour soit également porté par le cœur. Car il peut être pénible de porter un soin à quelque chose ou quelqu'un que vous détestez, qui vous répugne. D'où une corrélation avec la philanthropie, le goût de l'homme comme ami, pour que vos soins ne soient pas limités à vos proches, ceux qui par proximité sont autour de vous. Or le Christ nous dit que le commandement de Dieu est de se préoccuper de ceux qui nous entourent, mais pas d'aller soigner aussi ceux qui sont loin de nous. C'est là où on peut se demander si notre charité doit englober le Monde entier.

Ce qui est à en retirer est que tout le monde n'est pas égal tant en richesse qu'en situation de santé. Certains sont riches et en bonne santé, d'autres pauvres et malades, certains s'enrichissent et d'autres s’appauvrissent. Il y a bien eu l'expérience d'instaurer des pays où tout le monde aurait les mêmes niveaux de revenus et de condition de vie mais au plan économique ce fut un échec. Mieux valait des pays avec des magnats et des mendiants sous l'angle de la prospérité générale. En effet, pour une masse monétaire constante, sans inflation, si certains s'enrichissent c'est que nécessairement d'autres s'appauvrissent. Faut-il alors une forme de sacrifice de citoyens dénués de moyens de vivre dignement pour qu'existent des fortunes capables d'investir pour s'enrichir encore plus ?
L'étrangeté est donc de passer par la nécessité d'un commandement divin pour parvenir à induire la notion d'une solidarité entre les citoyens, voisins, et de l'articuler sur l'estime et la gentillesse rendues obligatoires, inconditionnelles, sans qu'il y ait de consultation populaire. Puis d'observer si ces concitoyens se conforment à cette obligation ou restent méprisants, haineux, obtus, et avares. En quoi serait-il si difficile d'accorder des soins (souci et thérapie) à autrui ? Un aspect est sur la proximité ou l'éloignement qui aident ou handicapent la connaissance des autres. On tend à avoir du soin par sympathie pour les gens que l'on connait et ignorer ceux que l'on méconnait. Les mendiants devraient-il paraître sympathiques pour qu'on les soigne ? En ont-ils bien le cœur pour l'être ?
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Car le soin induit que l'autre est en souffrance, ce qui n'est pas une source de joie, et rend pénible l'empathie : on souffre de voir souffrir. Et au lieu de soulager sa propre souffrance, c'est en soulageant celle de l'autre qu'on se sentira mieux. La difficulté est de ne pas soulager en se mettant soi-même dans une situation où il faudra à son tour demander de l'aide car on se sera mis à souffrir du mal qu'on aura guéri chez autrui. La pauvreté, à l’extrême, peut devenir contagieuse lorsque sa capacité d'enrichissement se mute en un appauvrissement constant, inexorable. C'est je pense ce qui s'est produit dans le bloc de l'URSS. Il semble donc meilleur d'aider les pauvres et malades à aller mieux, s'enrichir et retrouver la santé, tout en restant suffisamment riche et bien portant, plutôt que croire qu'ils vont s'en sortir d'eux-même par la grâce d'une Providence ou d'un travail accompli.

Embaucher quelqu'un ou acheter à un commerçant devient-il alors un acte de charité lorsque le bénéficiaire est dans une situation économique douloureuse ? Apporter une thérapie ou avoir du souci pour quelqu'un doit-il être rétribué ? Ce serait dire que l'amour n'a aucune importance, qu'on n'a aucune estime pour autrui, qu'on est misanthrope, à défaut d'être avare. Ainsi cela paraîtrait sain que de même qu'on donne des soins aux malades et pas aux gens bien portants, on favorise l'emploi de ceux qui en ont le plus besoin, moins qu'à ceux qui en sont déjà pourvus. Et que cette « charité » tout comme les soins reçoive une certaine compensation lorsqu'elle n'est pas motivée par un amour désintéressé.

Nous voyons donc apparaître une relation, un lien, entre la charité et ce qu'Aristote appela la chrématistique (χρηματίστηκα) comme étant l'art de s'occuper de ses affaires (χρῆμα, khrêma) d'une manière judicieuse et prospère, que certains ont traduit par « l'art de s'enrichir ». Certes s'occuper de son business vise en général à s'enrichir mais bien des entrepreneurs ne cherchent qu'une constance une fois atteint un niveau de revenu qui leur convient. Ceux qui sont doués en chrématistique doivent donc un soin à ceux qui sont si maladroits qu'ils sont dans une déroute économique, un peu comme l'Allemagne aida la Grèce en difficulté, pour autant que l'habile veuille être charitable avec les moins doués. Le tout est alors d'établir la forme que vont revêtir ces actes de charité.

En France cela se traduit par des minimas sociaux fournis par la Caisse d'Allocations Familiales ou par Pole Emploi, et des incitations fiscales à des investissements philanthropiques dans des fondations. Rien que le fait d'une allocation pour chômage est une forme de charité car c'est un revenu dont la seule contrepartie est de devoir se montrer actif pour retrouver un travail, mais pas un commerce d'un service contre un salaire, sauf si se chercher du boulot peut être considéré comme un travail. Mais pour y parvenir il faut que le bassin d'emploi ait besoin de main d'œuvre, et que votre « profil » convienne à des employeurs dont la charité est peu garantie. Bien chanceux sont ceux embauchés par un amour inconditionnel, sauf communautés ou familles.

Que devient donc le soin, souci, pour les gens à proximité, les proches ? Faut-il que la charité soit l'œuvre de l'état, soit pilotée par des fonctionnaires ? Les citoyens sont-ils devenus des brutes sans considération pour les démunis ? Comme l'a dit Nietzsche, avons-nous tué Dieu et ses commandements ? Car les seuls leviers qui semblent faire réagir les entreprises sont la possibilité d'un gain ou d'une économie. Elles seraient sans cœur, sans conscience. Comment auraient-elles une âme ? Nœuds de contrats pour les uns, « boites » pour les autres, elles ne seraient pas des communs, ni n'auraient de proximité avec leur voisinage, mais plutôt avec des sous-traitants étrangers dans des pays lointains. L'amour inconditionnel est-il devenu un mythe, ou un archaïsme ?
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    Guillaume

    International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations.

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