« Connais-toi toi-même » disait l'Oracle de Delphes. Le fait est que lorsque des personnes font connaissance dans le contexte de Koru Conseil, que ce soit pour me consulter ou pour participer à un atelier, elles se présentent avec un récit résumé de leur vie professionnelle, à la manière dont on le demande à un candidat lors d'un entretien d'embauche. Mais assez peu relient alors les savoirs-faire acquis dans le passé avec leurs activités présentes. Et puis l'outil « moderne » que l'on emploie pour constituer sa biographie est un CV, un inventaire des situations vécues et des actions menées qui n'a rien d'un récit, d'une narration. On présente un procès-verbal de sa vie, comme si nous étions des hommes-machines avec une carte grise. L'idée de rédiger mon autobiographie m'est venue début 2016 suite à des recommandations d'amis qui trouvaient que les anecdotes de ma vie ne manquaient pas de sel. J'en ai produit 90 pages assez infectes à lire – je débutais en écriture – que j'ai gardé pour moi. Et puis elle m'a été redemandée l'année suivante par Nathalie Montméat qui dirige l'Espace Emploi de Lyon, organisme d'aide au retour à l'emploi de chômeurs de longue durée. J'ai alors été plus concis avec seulement 10 pages, ce qui nous a permis d'en discuter elle et moi, qu'elle me fournisse un miroir de ma vie. Dans les deux cas la conséquence a été la même : « vu ce que j'ai fait jusqu'à présent, le job idéal auquel je suis destiné serait celui-ci ». Sauf que lorsque je m'y suis pris seul je me suis planté, il m'a manqué un interlocuteur à qui le démontrer, quelqu'un qui ne se convainc pas aussi facilement que soi-même. En l'occurrence Nathalie dirige une structure, a recruté ses collaborateurs, elle ne s'en laisse pas conter, elle sait évaluer les potentiels, ces puissances qui peuvent devenir actes, des entéléchies potentielles.
Mais c'est là où Nathalie m'a fait faire un second exercice : interroger mon entourage pour savoir ce qu'ils ont perçu de moi, avec une demi-douzaine de questions ouvertes, une « enquête d'image ». Il m'a alors été visible de découvrir qui avait bien voulu s'y plier, qui était disposé à m'aider à revenir à l'emploi, or aucun ami personnel n'a voulu le faire ! Car dire à quelqu'un ce qu'on pense sincèrement de lui, c'est prendre le risque de le décevoir, de le blesser, de perdre son amitié.
Or Aristote disait qu'un ami, quelqu'un avec lequel il y a un amour amical réciproque, c'est quelqu'un dont on se réjouit de son bonheur, et dont on s'afflige de ses peines. C'est quelqu'un dont on souhaite le bonheur pour lui-même, et pour lequel on cherche à participer si on le peut. Lui dire alors ce qu'on pense être ses travers, ce qui le handicape sans qu'il s'en rende compte, est un grand moyen de le faire progresser, de lui fournir des « axes d'amélioration ». Pour autant qu'on lui laisse le droit de considérer vos critiques comme un point de vue partial, ce qui s'annule grâce à la « multitude » (6 suffisent) de points de vue recueillis. C'est grâce à cette enquête que j'ai compris qu'il fallait que je laisse tomber le contrôle de gestion, malgré que j'y montre une grande aptitude technique : ma personnalité heurtait les conventions sociales de cette profession. Ou alors il aurait fallu que j'aille m'installer en Suède, dans un contexte où les conventions sociales m'auraient été favorables. Car comment se connaître soi-même avec seulement un regard venant de l'intérieur ? Vous êtes dans votre véhicule que vous pilotez, votre vie, mais il faut que les vies qui vous entourent puissent vous dire comment vous la conduisez à leurs yeux. Que le jugement soit équitable, impartial. Que vous sachiez sur quelles routes vous pouvez vous épanouir sans que votre conduite soit une nuisance pour les autres conducteurs, voire au contraire qu'elle soit une source de joie, de modèle à suivre, de phénomène à admirer. Or chacun de nous apparaît aux yeux des autres comme un phénomène, quelque chose qui se manifeste aux sens, physiquement et psychiquement, et peut faire l'objet d'un savoir. Nous sommes notre propre phénomène mais notre paradigme sur celui-ci est restrictif. Et puis il devient drôle d'imaginer un recruteur ou un acheteur se dire en vous découvrant « quel est donc ce phénomène ? » Et qu'au lieu de nier être un « phénomène », au contraire avancer que vous en êtes un au même titre que n'importe qui. N'est-il pas formidable de se dire qu'on est phénoménal ? N'est-ce pas ainsi que se révèlent les talents ? Malgré que beaucoup aiment à se dire qu'ils préfèrent être un « phénomène habituel » car cela dérange moins, ne surprend pas. La question déterminante de l'option entre être « ordinaire » ou « extraordinaire » dépendant de l'ambition que l'on se souhaite. Si on se souhaite « just another brick in the wall » comme chantait Pink Floyd ou si pour des raisons de forte concurrence sur son segment il faut se démarquer positivement et ostensiblement. Ce récit de sa vie devient alors un outil sociologique, une étude qualitative sur soi-même. On se fait le pédagogue qui évalue son élève avec des contrôles. On ne se contente pas d'un bilan factuel pour une inspection, on s'y projette comme un reflet de son âme, de son esprit, de ses pensées. En se relisant on peut alors prendre un recul pour se dire « qui suis-je véritablement ? » Qui peut bien aimer ce que je suis, et qui va me détester ? A quelles portes convient-il d'aller frapper, ou pas ? Et en vous connaissant vous-même vous vous reconnaissez, vous voyez en vous ce qu'il y a d'aimable et de détestable, le grain et l'ivraie, ce qu'il faut montrer et ce qu'il convient de taire, ou de changer. Vous entrerez alors peut-être dans une phase de métamorphose, comme une chenille devenant papillon, déployant ses ailes, s'épanouissant, devenant admirable. Combien de temps vous faut-il pour rédiger 10 pages ? Un petit rapport d'activité.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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