Wikipedia ne relate pas l'état de l'art de la science, mais plutôt le niveau de croyance populaire des phénomènes identifiés. J'y lis : « Le développement personnel représente un ensemble hétéroclite de courants de pensées et de méthodes ayant pour objectif l'amélioration de la connaissance de soi, la valorisation des talents et potentiels, l'amélioration de la qualité de vie, la réalisation de ses aspirations et de ses rêves. » Admettons-le ainsi. Dans ce cas l'Ethique à Nicomaque écrite par Aristote il y a 2400 est très précisément axée sur ce but, qu'on retrouve aussi dans ses ouvrages sur la Rhétorique et la Politique à un niveau collectif. Aristote porte un nom qui le prédestine à sa doctrine puisque en grec il s'appelle Αριστοτέλης (Aristotélis), le préfixe 'aristos' signifiant l'excellence et le suffixe 'telos' l'accomplissement. D'où la définition de « l'aristocratie » qui confie le pouvoir aux plus vertueux des hommes, avec l'inconvénient de devoir définir une autorité supérieure (le roi ?) capable de juger du niveau de vertu des nobles et leur attribuer des pouvoirs en conséquence. Mais les vertus ne garantissent pas le savoir-faire en matière de gouvernance, c'est davantage un garde-fous. Et une dimension sur laquelle Aristote garde un silence étonnant est l'ambition individuelle des hommes, leur propension à vouloir accroître leurs pouvoirs et saper ceux de leurs concurrents. Néanmoins il paraît assez clair que viser « l'aristotélisme » relève typiquement d'un développement de soi. L'objectif est l'atteinte du bonheur parfait par un état de béatitude intellectuelle appelée « eudémonisme » qui est une forme de spiritualité où le plaisir de vivre est dans la contemplation des choses de l'Univers, la curiosité pour ses mystères, l'envie de les comprendre pour les maîtriser. Il existe à son époque d'autres doctrines (Platon, Zénon, Épicure, etc) et chacun choisit de se tourner vers l'une ou l'autre selon ses choix (littéralement « hérésies »). Quelques siècles plus tard apparaîtra la doctrine chrétienne qui les évincera. Et aujourd'hui on fait l'éloge de toutes sortes de doctrines qui se veulent révolutionnaires et merveilleuses (cf. « Accords Toltèques » par exemple). Le socle de l'aristotélisme est dans la vie en société voulue bonne. Aristote dans ses ouvrages relate fréquemment des atrocités commises par ses concitoyens, des crimes. Mais il conserve un goût pour des pratiques qui sont aujourd'hui honnies : la guerre, l'esclavage, et la phallocratie. Il est donc sage de trier un peu ses concepts, garder ceux qui semblent bons, et écarter ceux qui ont fini par être admis comme impropres à l'humanité. Ce fondement social a pour vocation que les citoyens s'améliorent, donc se développent, dans un but de s'aimer plus facilement les uns les autres, mais aussi de s'aimer davantage soi-même. Et je m'interroge beaucoup si Jésus de Nazareth aurait pu étudier Aristote ou a eu les mêmes idées que lui spontanément. Cette « amabilité » s'accroît en cultivant 16 « compétences » qui se nomment αρετές (aretés) en grec, mot de même racine que l'aristos, l'excellence, et dont le sens signifie les finalités. La traduction en français est les vertus, dans le sens par exemple que la vertu de l'oeil est de bien voir. Mais au fil des âges on a inclus la rectitude dans les comportements sexuels comme relevant de la vertu, alors qu'en lisant Aristote il semble que certains grecs étaient des sacrés fripons, et qu'avec Platon on rationalise même la pédophilie. Ces vertus peuvent se classer en 4 catégories : intelligence émotionnelle (courage, gaité, douceur, tempérance), moralité (libéralité, magnanimité, véracité, modestie, magnificence), relations sociales (amitié, justice), et fonctions cognitives (métier, science, prudence, sagesse, intellect). A part les vertus intellectuelles où on visera un maximum de développement, les autres se développement par leur pratique dans la recherche d'un juste milieu entre le défaut et l'excès. Ainsi le courage se définit comme le milieu à atteindre entre la lâcheté et la témérité, ne pas succomber à ses peurs mais ne pas les ignorer non plus. A noter que la 'prudence' est une traduction approximative de la phronésis (φρόνηση) qui porte aussi un sens de sagacité. L'idée est de se servir de son esprit dans un but d'attention, de soin apporté à ce que l'on fait, pour faire des choses bonnes, convenables, non préjudiciables. C'est le « sois prudent » ou le « take care » qu'on souhaite à quelqu'un que l'on espère revoir en bonne santé. Cela ne veut pas dire qu'il faille être circonspect, ou timoré. De ces vertus, 4 sont définies comme « cardinales » par Socrate : tempérance (contrôle de ses pulsions, de ses émotions), courage (force d'âme), prudence (soin apporté), justice (équité, impartialité). Mais pour Aristote les 12 autres semblent tout aussi importantes. Si pour soi-même on peut être dubitatif à l'idée d'accroître sa vertuosité, ce qui pourrait aussi se dire sa bonté, le fait d'être meilleur, en revanche on peut développer une certaine attente à l'égard des autres, les apprécier davantage lorsqu'ils nous apparaissent vertueux, car ils sont alors exemplaires. C'est à dire qu'ils peuvent alors être cités comme modèles pour illustrer une manière de se comporter lorsqu'on cherche à expliquer à quelqu'un ce qu'on aimerait qu'il fasse. Car un mode d'apprentissage courant des hommes, et des animaux, est par imitation d'un congénère qui semble savoir faire et qu'on a envie d'apprendre à faire aussi, pour soi-même ou pour un autre que soi. Ce qui a pour conséquence que celui qui se comporte d'une manière qui est imitée avec respect (car on imite parfois pour se moquer) est honoré. Et cela est parfois reconnu par des institutions qui lui décernent une médaille pour le distinguer, le différencier de la foule. Avec l'inconvénient que s'il vit dans une démocratie à visée égalitaire, cette reconnaissance de mérite, de supériorité, peut être très mal perçue. En l'occurrence le développement de la vertuosité a une finalité nobiliaire, d'être au dessus de la vulgarité, du commun des mortels. Or dans une société portée par un héritage culturel catholique ayant élevé l'humilité au rang de vertu, cela devient contradictoire. Alors que le propos d'Aristote était que les gens humbles avaient selon lui plus de facilités pour devenir vertueux que les gens riches, pervertis par leurs facilités à accéder aux plaisirs terrestres, matériels. Mais là où il peut y avoir un soupçon de contradiction concerne la vertu de la modestie, dont l'excès par défaut est de susciter la miséricorde, et l'excès inverse l'hubris, de s'imaginer supérieur aux dieux. Or Aristote, avec son leitmotiv répété d'accroître ses vertus, comme s'il était l'expression d'un complexe personnel à assouvir, cette exhorte constante de se développer personnellement pour réaliser la dimension divine qui est dans notre âme, et atteindre d'après lui l'immortalité, n'est-elle pas une ambition de devenir un dieu éternel ? Le genre de destinée que l'église a accordé à ceux et celles qu'elle a élevé au rang de saints. Or que voyons-nous autour de nous dans des messages publicitaires affichés ou diffusés concernant les femmes ? Tout est voulu pour les inciter à la beauté d'Aphrodite ou aux talents de ménagère d'Héra, à moissonner une récolte comme Déméter dans son travail. La société rêve qu'elles soient des déesses, immortelles. Mais n'auraient-elles pas alors envie que leurs hommes aient la stature de dieux ? Des Zeus ordonnant et garant de la justice, des Hermès doués en commerce, des Héphaistos bricoleurs ? La société de consommation incite à l'hubris... pas vraiment à la sainteté. Mais au final qu'apporte Aristote en terme de développement personnel ? L'objectif est de se sortir de ce qu'on appelle des « cercles vicieux » en vue devenir ce qu'il croit être un « homme bon » (ce qui peut se transposer aux femmes de nos jours) en agissant sur trois facteurs : sa nature profonde issue de sa naissance, ses habitudes pas toujours bonnes, et sa raison pour être bienveillant et bienfaisant. Il espère ainsi que les hommes d'état qui nous gouvernent, ou les managers qui nous commandent, auront une attitude inspirant une reconnaissance positive de leur personnalité, ce qui rendra leur activité plus facile par l'envie de dévouement qu'ils susciteront alors. Nous dirions aujourd'hui qu'être vertueux contribue à un leadership positif, et faciliter ses ambitions d'être élu. Cependant sa vocation était aussi de construire une « société bonne » avec des mœurs auto-régulées par les vertus plutôt que laisser libre cours aux exactions atroces qu'il relate. Or, admettons-le, notre éducation (parents et école) nous a préparé à une vie active dans laquelle 9 fois sur 10 un manager est là pour nous instruire des comportements que nous devons avoir. Peu ont été préparés à ces 10% de chance d'être autonomes et commander, nous sommes davantage formés à obéir. Mais notre époque montre une remise en cause du modèle hiérarchique, du saint patron, au profit du « rhizome » préfiguré par Gilles Deleuze. Il nous faut donc apprendre ce qu'est l'autonomie, et la félicité en société, décider par soi-même avec prudence, courage, tempérance, et justice.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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