Facebook, Instagram, Twitter, Linkedin, etc sont autant de plateforme où des dizaines de millions d’utilisateurs français se connectent chaque mois. Le but est de parler de soi, ou de quelque chose, et que vos ‘followers’ indiquent qu’ils aiment ce que vous dites ou faites, et y apportent leur commentaire. Nous pouvons donc nous interroger sur le narcissisme de ces publiants qui désirent être aimés, et peuvent s’effondrer dans une dépression lorsque des critiques les assaillent et démolissent leurs actions. Tout le monde n’est pas Barack Obama avec ses 100 millions de followers, mais rêve de ce podium de héros, de demi-dieu prophétisant à une foule innombrable. St Augustin disait que le désir de gloire est un vice, ce qui contredit le besoin de cette ardeur combative que Platon situait dans le coeur, à l’image d’un lion. Difficile d’avoir la hargne de vaincre tout en restant humble. Comment être un compétiteur intéressant si dans un match on ne souhaite pas gagner ? Car je crois que dans cette quête du nombre de ‘followers’, de ‘like’, de ‘retweet’, il y a un esprit de compétition comme le classement au tennis. Mais au lieu d’une rencontre ponctuelle sur quelques heures, le match est permanent, comme un harcèlement. On devient son « tamagoshi », cet animal virtuel à soigner. Il y a un effet addictif lié à la récompense de se sentir aimé qui doit s’effectuer par des émotions dopaminergiques et de sérotonine reçue. Le plaisir d’être apprécié, et les suffrages obtenus par l’influence que l’on exerce, sorte de ‘soft power’ à l’échelon individuel, nourrit une ambition gratuite. La mode du selfie, de se prendre en photo pour l’afficher publiquement, a été le corolaire pour donner des preuves de ses exploits, de ses qualités photogéniques. Mais en fait, en regardant la proportion d’utilisateurs ayant plus de 500 followers, et communiquant fréquemment, le pourcentage est assez faible, environ 3%. Les autres sont davantage des ‘lurkers’, des « voyeurs » anonymes qui se distraient en parcourant cette production permanente de quelques ego en mal d’amour. Et tout ce monde fait la joie des publicistes qui ont trouvé là un nouveau moyen de communiquer sur leurs produits, et rémunèrent ces plate-formes sociales. Mais quel genre de socialisation est-ce si on le compare aux formes traditionnelles ? Qu’avions nous avant ? Cet « avant » pouvant être situé lorsque les messageries sur le Minitel n’existaient pas, ancêtre de ces réseaux dont le coût d’emploi était extrêmement onéreux, en avait ruiné quelques uns. Il y avait les cafés, les clubs de sport, les associations, les activités scolaires et professionnelles, et les évènements collectifs municipaux, qui existent toujours, ainsi que les places de commerce et les endroits de promenade où on croise des voisins. Les réunions étaient alors par proximité géographique et par centres d’intérêts, mélangeant introvertis et extravertis, avec diverses tendances politiques, valeurs morales. Le bénéfice de la connexion internationale permet de se lier avec des partisans de vos idées au delà de votre lieu de résidence, surtout si vous êtes un peu excentrique. L’inconvénient est de voir des groupes politiques émerger, se coordonnant pour agir de manière nocive, quand localement leurs membres auraient été isolés. Des folklores apparaissent. Cette obligation qu’il y avait de déclarer les associations à la préfecture locale, qui réalisait un contrôle des groupements d’intérêts, n’est plus possible. L’état est largué. Les messages politiques des factions militantes sont minoritaires dans le volume publié, mais n’ont plus la censure qu’effectuaient les journaux soucieux de leurs lecteurs. D’autre part la vérification des faits publiés est désormais recommandée aux lecteurs, qui ne sont plus protégés par le professionnalisme des journalistes. Et si on compare Instagram avec une « presse people » des jeunes, ces jeunes gens n’ont pas cet effet de corps protecteur des magazines imprimés, où les journalistes se soutiennent moralement entre eux, où les célébrités s’isolent de leur lectorat, ne se montrent que sur des scènes gardées. Car il est très facile de se faire lapider verbalement, insulter, humilier. Il faut donc un amour-propre suffisant pour ne pas laisser prise aux condamnations, aux jugements arbitraires et hâtifs de la foule.
Avec une certaine ironie est alors apparu des « coaches » qui conseillent des méthodes ad-hoc pour parvenir aux sommets de cette célébrité numérique, où des personnalités qui sont introverties en situation de contact réel peuvent devenir totalement extraverties lors des contacts virtuels. Un calme peut devenir violent, ou l’inverse, un triste joyeux, un plaisantin morose, renversements de personnalité déjà constaté avec les Minitels et attribué à la protection de l’écran-clavier d’avec ses interlocuteurs. Ce qui induit des besoins de stratégie, tant pour s’exprimer et se modérer, que pour se protéger, ne pas se laisser trop émouvoir par les réactions que l’on obtient. Car il se produit un phénomène de darwinisme dont quelques-uns ne sortent pas indemnes, sombrent dans un désespoir d’être socialement rejetés. Ils jouent avec le feu. Mais au final parvient-on à un effet tangible lorsqu'on bénéficie d'une large audience ? Devient-on un facteur d'influence de la société, sciemment ou fortuitement, lorsque des gens s'intéressent à vous ? Le fait qu'une intention d'influence trouve un public qui vous lit, vous écoute, ou vous regarde, est-il une garantie que vous aurez une incidence sur leurs idées, ou leurs comportements ? N'allez-vous pas gesticuler pour le simple plaisir des badauds ? Ce qui semble être une vocation que se donnent de nombreux publiants, sortes de « fou du roi » modernes. Cet effet ne peut se mesurer que par des constats d'actions nouvelles, comme cette dramatique mode du « planking » qui avait défrayé la chronique. C'était un concours à qui serait le plus malin, le plus inventif, à risquer sa vie. La société a en réalité reproduit cette époque des pamphlets, au départ brochures d'une page ou deux, puis diatribes calomnieuses incitant à la haine. Mais au lieu d'avoir besoin de les imprimer et de les distribuer, quelques clics suffisent à les rendre publiques. Aura-t'on de nouvelles révolutions, de nouvelles émeutes, des manifestations violentes ? Laisser à tout à chacun la liberté d'exprimer ses ressentiments a parfois des effets de foule lorsque la communication cherche à y parvenir. Ainsi déjà Augustin qui hait les polythéistes attise la haine des chrétiens envers eux, incite à rendre légitime qu'on les persécute. Cet exemple nous montre que l'intolérance d'une faction à l'égard d'une autre semble le propre de l'homme, sa nature sauvage, qu'un lecteur non éduqué à une étude critique de ce qu'il lit (ou entend) est vite convaincu par une doctrine de violence, sous couvert d'une prétendue vertu présentée comme supérieure à l'ennemi. Les guerres civiles se lancent ainsi.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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