L'inconscient collectif, peut-être à l'instar de l'inconscient personnel, tend à croire que des mots ont une certaine définition alors qu'en les vérifiant ils veulent dire autre chose. Et puis il y a des mots qui ont pris des valences mélioratives ou péjoratives. A la base 'éthique' s'écrit ηθικός en grec et se traduit en moralitas en latin, ce qui veut dire la morale. Il s'agit donc à peu près de la même chose et elle se rapporte à l'ethos, la personnalité, mais aussi à l'ethnicité, l'identité d'une société qui se définit par ses mœurs, ses coutumes, ses traditions, ses habitudes de vie. Cependant ce qui est de nature morale signifie aussi « reposer sur la croyance, l'opinion, le sentiment et non sur la matérialité des faits ou sur la rigueur du raisonnement » (source CNRTL). Cela ne doit pas être confondu avec la moralisation qui est d'élever quelqu'un à un ordre moral, conforme en se soumettant à des règles morales. Car la problématique est alors d'établir ces règles qui prennent valeur de lois. Or à la base lorsque Socrate établit la moralité, il le fait selon une universalité de l'entendement, pour qu'il n'y ait pas d'interprétation subjective de ce que l'éthique recouvre. Il part de la problématique de justice et d'injustice, qui se dit δίκαια en grec, et se rapporte à l'équitable : celui qui commet l'injustice à l'égard de quelqu'un le fait souffrir et la morale veut que cette injustice soit réparée ou punie, sans être une nouvelle injustice en retour. Mais pour savoir si une injustice a véritablement été commise il faut qu'il y ait des lois, les plaintes ne suffisent pas, car alors ce seraient des injustes qui pourraient se plaindre des justes. Et les juges seraient en difficulté pour se prononcer sur des culpabilités ou des dommages à reverser. C'est à dire qu'un comportement juste, donc moral, consiste à ne faire souffrir personne, physiquement, psychologiquement, ou matériellement. Il est immoral de tuer autrui ou de le blesser, de le priver d'un bien qui lui est légitime. Mais le souci est alors dans les magistrats qui statuent sur les cas et les lois : sont-ils gouvernés par un esprit de justice, d'équité, ou pourraient-ils avoir une volonté d'ordre public qui satisfasse des ambitions de plaisirs individuels ? Ces lois protègent-elles des innocents ou imposent-t'elles des normes de conduite morale issues de traditions ethniques telles que la pudeur ou la chasteté ? En effet il y a par exemple les lois qui définissent les rapports entre adultes et mineurs dans le cadre de leur éducation car ces adultes sont en position d'autorité sur ces enfants qui doivent leur obéir. Or devoir obéir à autrui est déjà une forme d'injustice par privation de sa liberté d'agir à sa guise, surtout si l'autorité est pédophile. C'est alors que Socrate introduit la notion du Bien. La moralité n'est pas que justice, c'est aussi le bien qui s'oppose au mal, le bien-être au mal-être, la bienfaisance à la malfaisance, le bonheur au malheur. C'est à dire qu'en cas par exemple de maladie, qui est une affection de l'homéostasie de bien-être par une blessure ou une contagion, c'est une souffrance à laquelle des hommes experts en l'art de soigner vont apporter des remèdes pour aider à recouvrer une bonne santé. Alors que le Bien en soi est un idéal de nature divine, dont par exemple la lumière est issue car elle permet de voir, ce qui est un bien, sans que cette lumière soit atténuée par l'usage que la vision en fait. Nous pourrions dire en vocable contemporain qu'il y a un concept de développement durable dans le Bien en soi. Le bien de certains ne doit pas produire des maux pour autrui.
Mais Platon y rajoute ensuite le concept du Beau (κάλλος) en le divisant en trois aspects : ce qui fait l'objet d'éloges (έπαινος), donc d'une appréciation subjective ; ce qui présente une utilité (χρήση), donc le résultat d'un calcul d'opportunité ; et ce qui est avantageux (ωφέλεια) du fait des mœurs et des coutumes, qui apporte un bénéfice, un profit. Nous pourrions alors presque parler d'une dimension « marketing » de la moralité. L'éthique doit pouvoir facilement se « vendre », être adoptée, et ceux qui s'y rallient bénéficier d'une valeur de leur ethos vue comme supérieure à ceux qui n'y souscrivent pas. Celui ou celle qui fait l'objet de blâmes, est inutile, ou déprécie son groupe social est alors immoral(e), laid(e). Ce n'est donc plus seulement une question de plaisir esthétique, mais de la valeur de l'apport à la société en l'embellissant d'une manière presque comptable. Pour y parvenir Platon puis Aristote vont établir que c'est par l'exercice de vertus, à comprendre comme des qualités humaines visant l'excellence de l'individu, Idéal du Moi, où on peut retrouver de façon contemporaine ce que Freud décrit comme l'effet du Surmoi sur le Ça : les pulsions, poussées de désirs d'origine sexuelle, sont refrénées par un inconscient qui les canalise. Par exemple la peur qui bloque les actions, entraîne la lâcheté, se contrôle grâce au courage, à la condition qu'il ne devienne pas de la témérité source de gâchis. Cependant comme le dit Aristote (Ethique à Nicomaque) ces vertus doivent s'exercer de manière consciente, ce que Freud aurait probablement rapporté au Moi. C'est à dire que c'est l'ego qui établit la volonté de vertu, à force d'entrainement, dans une optique d'excellence aristocrate. L'aristocratie (αριστοκρατία) voulant dire en grec le pouvoir de l'état (κράτος) détenu par l'excellence (άριστος). Dans ce cas, pour rester dans le modèle simple de Platon de 4 vertus, sans aller au modèle d'Aristote avec 16 vertus plus affinées, que la moralité s'obtient par la sagesse, le « σώφρων » (sophron), le courage, et la justice équitable. Ce terme de sophron a été traduit par de la tempérance car il signifie la modération, mais en grec il désigne aussi l'esprit sensé, par opposition à la déraison (ἀφροσύνη). Ainsi l'immoralité serait induite par la sottise, la déraison, les peurs, et les injustices. Et en l'occurrence il est imaginable qu'une thérapie psychanalytique peut corriger une immoralité maladive, c'est à dire dont le patient souffre, en lui permettant de comprendre ce qui l'a bloqué dans son désir de moralité induit par le Surmoi qui en définit la norme. Mais il y a aussi des gens immoraux qui en sont parfaitement heureux, devenant sans doute ces parangons de tyrannie que Platon décrit au Livre IX de la République, tout en les imaginant malheureux au fond d'eux-mêmes.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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