Il est un événement qu'on commémore en cette année 2016 dans une relative discrétion car il n'intéresse finalement que les passionnés du management, c'est la publication en 1916 du livre Administration Industrielle et Générale, écrit par Henri Fayol.
Fayol est considéré comme un des pères de la science du management, au côté de Frederick Taylor. On le redécouvre en France depuis quelques années alors qu’il a marqué le monde entier, en particulier les USA, où sa doctrine s’est répandue largement après la seconde guerre mondiale. Il est systématiquement étudié dans les écoles de management américaines depuis une soixantaine d’année alors que les écoles françaises n’ont pris conscience de l'importance de son enseignement il n’y a qu’une quinzaine d’années. Il est à l’origine des cinq fonctions de l’administration : prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler. Contemporain d'auteurs plus connus comme Émile Zola ou d'hommes politiques comme Georges Clemenceau, on voit que sa vie professionnelle s'inscrit en plein dans la Révolution Industrielle, en particulier dans la Longue Dépression (1873-1896) puis dans la Belle Époque. On peut donc se demander si sa doctrine relève d'une « vieille recette » qui serait devenue obsolète ou si on peut encore y trouver de l'inspiration pour gérer nos affaires cent ans plus tard. Cette époque est le règne de la vapeur et de l'acier, d'une rupture dans les modes de déplacement des biens et des personnes qui va nécessiter des tonnes de charbon, et Fayol dirige justement des mines et des forges. C'est aussi une période qui foisonne d'inventions nouvelles comme la photographie, le cinéma, la machine à écrire, l'automobile, l'aviation, et surtout pour les affaires la communication instantanée qu'est le télégraphe. Fayol va aussi y contribuer par des brevets dans les techniques d'exploitation minières et la publication de recherches en paléobiologie et carbonifère. Sur le plan humain, politique il y a aussi des évolutions majeures car les transports vont permettre des mouvements de population ouvrière énormes, que cela soit entre l'Europe et les USA, au sein des pays Européens, ou même entre le monde rural et le monde industriel. Le français n'a pas encore été massivement enseigné et la main-d’œuvre étrangère était nombreuse, ce qui conduit à une simplification et rationalisation des tâches (Taylorisme) pour permettre d'employer des ouvriers non qualifiés pour le travail demandé dans des sortes de Tours de Babel linguistiques. Les droits sociaux évoluent aussi simultanément. Précédemment l'usage était de payer les ouvriers à l'ouvrage, à la pièce ou au Kg de charbon. Mais entre l'emploi de main-d’œuvre non qualifiée et les disparités dans les possibilités de produire des biens, les employeurs ne veulent pas négocier sans cesse les prix de revient et les ouvriers veulent se garantir un revenu correct en contrepartie d'un effort décent. Des luttes farouches vont opposer patronat et ouvriers où l’État enverra la troupe contenir les grévistes avec violence, le socialisme va naître au départ dans l'illégalité, se disant républicain par rapport aux bonapartistes. Fayol y sera exposé au premier chef puisque l'élection du premier maire socialiste, Christophe Thivrier, aura lieu à Commentry, quasiment au même moment où Fayol accède à la Direction Générale des Mines de Commentry et Fourchambaud. Il tentera en vain de licencier 300 mineurs socialistes et finalement les troubles s'apaiseront dans ses établissements sous sa direction. On voit ici que Fayol a dirigé un groupe de premier plan et d'importance stratégique pour l'époque dans un monde changeant, multiculturel, politiquement très troublé. A la différence de Taylor qui rationalise jusqu'au moindre détail l'activité des ouvriers, Fayol définit les modes opératoires stratégique (prévoir, organiser) et de leadership (commander, coordonner, contrôler). Ce qui manque pour le monde actuel est la dimension multinationale et la gestion des grèves. Avait il l'intention de le faire dans le second ouvrage qu'il avait dit au départ vouloir écrire ? Il y a aussi peu de choses sur la gestion de l'innovation et de la créativité à part dans l'étude de ses travaux de laboratoire. La perception qu'on a généralement du management de cette époque, cent ans plus tard, se retrouve dans les préceptes de Frédéric Le Play de considérer une entreprise comme une famille avec la figure paternelle et autoritaire du chef d'entreprise. Il ne semble pas y avoir ce point de vue chez Fayol - qui ne cite pas Le Play dans ses inspirateurs - puisqu'il emploie tout le long de son exposé le terme de corps social et montre les "chefs" comme des membres de ce corps, employés comme stratèges et leaders mais pas du tout comme des "grands frères". Sur ses recommandations en termes de structures périphériques à l'entreprise (écoles, hospices, dispensaires,...) on y lit plutôt les principes du Welfare capitalism qui s'est développé à cette époque dans les pays anglo-américains. Beaucoup d'historiens français réduisent cette époque sous le terme de paternalisme pour tenter de justifier la mise en place d'infrastructures sociales (depuis lors institutionnalisées) sous un prétexte moral et psychologiquement critiquable des employeurs. Or il est par essence impossible que le Catholicisme social ait pu se développer en Angleterre et aux États-Unis. Pourtant de nombreuses firmes y ont mis en place des solutions analogues à celles françaises. La lecture de Fayol montre que ces infrastructures avaient un objectif de stabilité et qualification du personnel ainsi que sa satisfaction matérielle et humaine dans un but de paix sociale. A aucun moment on ne trouve de volonté d'un bien-être imposé, mais plutôt le souhait d'une harmonie collective. Là où on peut imaginer plus aisément la critique de Fayol est dans le fait que sa volonté est nettement technocratique et réclame l'exemplarité des managers. Ceux-ci se retrouvent encadrés par une doctrine qui est à la limite des préceptes d'une religion puisqu'il les enjoint même à pratiquer des exercices physiques pour conserver une bonne santé. Il y a clairement une volonté politique dans ses textes, une idée de société idéale. Tous les managers ne sont pas enclins à de telles implications. Enfin où aujourd'hui on se préoccupe de qualité de vie au travail, Fayol pose les bases d'une réflexion sur les conditions de travail à travers la qualité des relations humaines, la sécurité, et la formation du personnel. Quand on voit les photographies de l'époque les usines – et à fortiori les mines – n'avaient rien d'espaces de bien-être. Fayol fait preuve à cet égard comme sur d'autres sujets d'une admirable capacité d'anticipation sur ses contemporains.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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