Depuis quelques années émergent des entreprises se disant « libérées » et progressivement celles existantes agissent pour accroître l'autonomie de leurs employés. Cela fait suite à une période de définition de normes et de processus où l'employé n'était plus qu'un exécutant dans une organisation taylorisée à tous les niveaux. Celle-ci s'ajoutait au poids d'une hiérarchie pyramidale dans laquelle les décisions et règles étaient top-down, où un « grand chef », une « tête pensante », déterminait ce que chacun devait faire. Ce système était appuyé par le Code du Travail, les lois, où pour être salarié il fallait être sujet à un lien de subordination, être soumis à l'autorité de quelqu'un. Or la liberté implique de ne pas être prisonnier d'une autorité, d'avoir un champ d'action, de mouvement, et le droit de choisir ce que l'on veut faire. A l'inverse, exempt de ces moyens, on est réifié, aliéné au rang de bête de somme, ou de marchandise selon Marx. Vous pouvez ainsi être vendu par votre « maître » à un autre maître, que les grecs nommaient despotes. Le despote exerce son pouvoir sans contrôle, de manière absolue et arbitraire, alors que le maître n'a qu'un pouvoir de domination. Être souverain n'est pas synonyme de despotisme car il peut y avoir un conseil collectif qui définit les ordres, et ceux-ci peuvent alors viser l'épanouissement des sujets. Ceci questionne donc les opérations de fusions-acquisitions où les « maîtres » actionnaires s'entendent à l'insu des employés pour les revendre sur un marché financier dont l'objectif n'est que le taux de plus-value et la prévalence commerciale sur le marché économique. Dans ce système le salarié n'est plus qu'une marchandise anonyme, inconnue, de l'actionnaire. Son éventuel plaisir ou souffrance au travail est du ressort de « l'intendant » qu'on nomme CEO, le « grand chef ». Pour qu'il y ait une réelle « libération » des salariés, ceux-ci devraient être les propres propriétaires de leur entreprise, à l'instar des coopératives. Mais dans ce cas deux problématiques apparaissent : comment un nouvel embauché va-t'il pouvoir financer son achat d'actions pour être copropriétaire de son entreprise, et comment l'organisation va-t'elle se coordonner pour que l'ensemble de travailleurs concourent à la production de biens ou services nés d'une collaboration ? En effet les manufactures qui apparaissent à la Révolution Industrielle découlent de besoins de produire en masse des produits identiques dont la complexité impose la collaboration et la division du travail pour être efficace. Il y a d'abord un travail de conception réalisé par des ingénieurs, puis la réalisation par des ouvriers qui exécutent chacun une partie de l'œuvre globale. Cela implique le financement de la période de R&D, de l'acquisition des outillages de travail, et du début de la production jusqu'à ce que les ventes couvrent les frais. C'est ainsi que les riches bourgeois sont devenus des usuriers despotiques : ils peuvent réaliser ces investissements qui permettent aux pauvres de travailler pour qu'un salaire leur permette de vivre. Il aurait été plus sain que ces bourgeois prêtent aux travailleurs l'argent requis pour investir dans leur moyen de réaliser un travail commercialisable. Mais cela créé le risque que ce travailleur échoue dans son entreprise et ne puisse pas rembourser son créancier. Et puis se pose aussi la contrainte de pouvoir changer d'organisation ou de métier, par lassitude ou opportunité d'un meilleur rendement. Tout comme un petit commerçant le travailleur n'a pas toujours la possibilité de revendre son fond de commerce.
En admettant que cette difficulté soit résolue par un mécanisme d'assurance et de mutualisation des risques, se pose ensuite le problème de la coordination et de la stratégie. Il a été montré que les gens ont une « rationalité limitée », c'est à dire qu'ils n'ont pas une connaissance suffisamment large de tous les problèmes et de leurs solutions, et qu'ils décident parfois par intuition, envie, plutôt que par une délibération soigneuse de ce qui est le mieux de faire. Ils sont même parfois réfractaires aux conseils, dans le sens où le conseil vient du latin cōnsulō qui est la réflexion commune. En effet ces conseils sont souvent des instructions pour « faire ainsi » comme s'ils émanaient d'un professeur, du latin profiteor dans lequel fateor est la reconnaissance. On demande conseil à un expert, et ce n'en est pas toujours un. Au lieu que l'expert collabore à une réflexion, il décrète ses choix. Nous semblons donc avoir été « moutonnisés » au fil du temps, conditionnés à écouter des autorités, à leur obéir, et perdu l'apprentissage des réflexions collectives. Le monde s'est distingué entre ceux qui donnent des ordres et ceux qui les exécutent, dans lequel chacun doit s'employer à parvenir à un degré d'autorité qui lui permet d'être écouté. Il me semble peu commun que les gens dialoguent en se représentant les champs de connaissance de chaque interlocuteur, là où il est expert, en ayant en vue de décider communément de ce qu'il convient de faire, d'un bienfait commun. Il est fréquent qu'ils suivent des choix antagonistes, n'aient pas un objectif commun. La liberté est devenue un droit d'agir individuellement plutôt que collectivement, en même temps qu'on perdait toute voix au chapitre qui nous concerne. C'est ainsi que pour trancher la difficulté que tout le monde réussisse à se mettre d'accord, on en est venu au principe du vote : au lieu qu'un expert décide quoi faire, c'est la majorité des suffrages qui impose à la minorité antagoniste sa décision. Dès lors réussir à défendre son choix, ses désirs, va entraîner le besoin de s'allier avec des indécis qui voteront comme vous. C'est l'apparition des factions, des partis, qui cherchent à rallier les voix pour parvenir à être les maîtres, à détenir l'autorité, à faire prévaloir leurs goûts sur l'ensemble de la population, et donc leur expertise. C'est une sorte de tyrannie de la majorité sur les minorités, avec un fort recours à la technique de la propagande : on fabrique le consentement en informant de menaces et en laissant croire que les gens décident eux-mêmes d'un bienfait qui leur a été en réalité inculqué avec manipulation. La question de la liberté devient donc une problématique d'honnêteté et de solidarité. L'individualisme doit céder le pas à l'intérêt collectif, et le conseil tenir compte des contraintes et envies de chacun. Chacun doit disposer d'un espace pour bénéficier de ce qu'il aime.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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