Depuis environ 8 ans sont apparus des praticiens de la philosophie qui proposent des actions aux entreprises, animent des ateliers (à présent en vidéoconférences), et reçoivent des clients pour des consultations privées. Leurs méthodes ont l'air diverses, leur succès variable, et très différents de ce que je fais et j'obtiens. Un paramètre clé est dans leur réseau de contacts, leurs « amis », et leur visibilité médiatique qui leur apporte de nouveaux contacts. Mes quelques opportunités d'assister à des ateliers animés par des confrères ou consœurs m'ont montré le contraste entre ce qui est proposé et le public qui vient en profiter.
Une proposition d'explication serait que leurs clients se questionnent sur les mystères de la réalité, dont les mœurs, et viendraient chercher auprès d'auteurs célèbres des réponses. Étonnés par un concept (eg. la résilience, l'éthique) ils viendraient assister à un cours leur exposant les diverses « vérités » que des « penseurs » auraient formulé. C'est à dire qu'au lieu de faire des recherches sur Internet, se faire leur propre idée, ils viendraient écouter quelqu'un (érudit) qui a effectué ces recherches et leur fournit un « digest » de ce qu'il a trouvé et compris. Ça n'est pas de cette façon dont j'ai compris la nature de la philosophie. Serais-je donc dans une totale erreur ? Car le fond de la question est de caractériser la philosophie et se demander si elle apporte un bénéfice à ceux qui l'étudient. Si elle n'est que de la culture générale ou si on peut en tirer un avantage pour vivre ou travailler ? Or déjà il y a peu de philosophes qui aient publié ce qu'ils pensent être, ce qu'ils pensent faire. La plupart nous semblent être des intellectuels qui un jour ont décidé d'étudier un aspect du monde, de la société, pour le raconter ensuite à leurs lecteurs. Il est très difficile d'entrer dans le cercle fermé des enseignants de philosophie pour connaître leur avis sur les gens dont ils rapportent les propos. Les profs ne donnent pas des cours sur eux-mêmes. Il m'apparaît donc, impression superficielle, que leurs clients seraient en demande d'écouter des discours qui les rassurent. Ils auraient des vagues idées de ce qui est bon et bien et viendraient affirmer leurs certitudes avec le propos de quelqu'un ayant étudié la question. En cela je dois être insolite car au lieu d'écouter les orateurs je me suis demandé ce que les gens étaient venus faire à mes côtés dans la salle. Leurs motivations étaient-elles les mêmes que les miennes ? Et le fait probant, tant à l'université qu'en conférences, c'est que si j'ai la possibilité de poser des questions, je remets en cause le cours en présentant des arguments suggérant qu'il est faux, que c'est un mensonge. Pour cela je fais appel à la logique du raisonnement. Je cherche les contradictions. Or cette compétence apparaît utile dans une entreprise dans le cadre de sa communication institutionnelle. Les entreprises communiquent à l'intention de leurs clients, des candidats à un emploi chez eux, et des investisseurs ou banquiers. Les réactions de ceux-ci diffèrent selon qu'ils veulent profiter d'une aubaine ou se méfient d'une entourloupe. Certains ont des idées très arrêtées sur la manière dont une entreprise doit être administrée, les sujets auxquels elle doit accorder de l'importance, l'ambiance qui doit y régner, les pratiques managériales, et plus globalement en quoi consiste un patron. Mais personne n'a l'air de s'être demandé si ces idéologies sont valables, analysé ce qui est réellement convenable en matière de mœurs économiques. Cette moralité semble fondée sur le niveau d'écoute qu'obtiennent les divers groupes idéologiques. Les chiens aboient et la caravane passe... Mais au niveau de l'individu, qu'il soit salarié ou travailleur indépendant, ou retraité, donc « libéré des études », quel bénéfice peut-il tirer de connaître les idées qu'ont formulé des « penseurs » ? Se forge-t'on ses idées à partir des idées d'autrui ou est-on capable de les imaginer librement, de façon autonome ? La problématique est alors la validité de ses idées car il peut se tromper, se représenter le monde d'une manière chimérique, croire qu'existent des phénomènes irréels, ou en nier d'autres qui sont réels. Puis il y a la confrontation de ces idées avec les idées des autres, qui ne se réalise pas toujours d'une manière clémente. Faut-il alors parvenir à une communion des idées pour former une société ou celle-ci peut-elle être une « galaxie » d'idées divergentes ? C'est là où interviennent les rapports avec les clients et les collègues. Si de prime abord on va être factuel, pragmatique, très vite la discussion va s'engager et chacun va formuler des opinions qui dérivent des idées que l'on a de soi et du monde. Or si l'objectif du groupe est de se former autour d'une cause commune pour agir de concert, il va être très mal venu que certains agissent en gênant les autres. Si donc les actions individuelles proviennent de choix induits par les idées et les opinions, dont une part d'intuition, l'ensemble peut être très chaotique. De ce fait constituer une opinion commune, même chimérique, semble être un gage d'une cohésion des comportements. Car autrement il y a la technique procédurière des bureaucraties : on obéit à des ordres aveuglément. Nous serions donc dans un genre de société platonique où une « caste » de « penseurs » dits « philosophes » se retrouverait en occasionnels symposiums, avec quelques « stars » médiatiques, pour édicter les idées qu'il convient d'avoir. A côté d'eux la majeure partie du peuple s'agrégerait dans des entreprises dont leurs « directions » souhaiteraient une cohérence et un engagement des employés. Et puis on trouverait aussi des « factions » qui militent politiquement pour des causes, et qui souvent critiquent le gouvernement, la « direction » du peuple. Ces « penseurs » et « directions » cherchent à être des chefs, des capitaines, des têtes qui pensent le bien commun et font agir les autres. Parfois il est visible qu'ils trouvent un grand plaisir dans ce pouvoir qui leur est accordé, une jouissance. Or dans la finalité antique de la philosophie, surtout chez Aristote, le but n'est-il pas que chacun soit le chef de lui-même ? Et que globalement au niveau d'une « hérésie » (école philosophique) les adeptes aient des idées et un comportement analogue ? Ont-ils eu l'idée de l'entreprise moderne ?
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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