Le latin curriculum vitae signifie le « déroulement de la vie ». L'apparition de ce document remonterait à Léonard de Vinci cherchant à présenter ses compétences au Duc de Milan, puis est devenu commun et obligatoire autour de 1950 lorsqu'on postule à un emploi. Vers les années 2000 les canadiens ont proposé que celui-ci soit plutôt présenté de façon thématique par compétences, et apparaissent aussi des formats en films vidéo, chacun cherchant à se démarquer dans une farouche compétition entre candidats pour atteindre l'embauche. Mais dans d'autres domaines tels que la fonction publique le recrutement passe par des concours écrits et oraux analogues aux admissions d'étudiants aux Grandes Écoles. C'est alors la préparation à cet examen qui devient primordiale, et l'adéquation entre le poste et la motivation à le tenir devient secondaire puisqu'on peut être potentiellement muté dans l'organisation ou géographiquement. Dans les deux cas, CV ou concours, l'accès à un job n'est pas un droit comme le dit la Constitution mais une bataille pour parvenir à avoir un revenu, et une place économique dans la société. Il est alors à noter que dans le giron de l'Union Soviétique, vous receviez automatiquement chez vous un courrier vous indiquant où vous alliez travailler, comme si le peuple entier était instrumentalisé par l'état. Effets curieuxUn aspect assez étonnant dans l'étude de votre déroulement de vie par un recruteur est que celui-ci se préoccupe de savoir s'il y a des « trous » dans votre existence, si vous auriez pu être oisif à certains moments, si vous n'auriez pas dédié toute votre vie au travail. Le fait de souffrir d'une période de chômage pouvant montrer un défaut de compétence, ou une personnalité laxiste antinomique avec les règlements internes aux entreprises. Et puis il se conçoit aussi que les compétences non pratiquées s'oublient avec le temps, en même temps que les pratiques évoluent, se renouvellent, et vous rendent obsolète rapidement. Sommes nous alors de simples instruments au service du capitalisme, comme l'étaient les gens à celui de l'état dans l'ex-bloc de l'URSS ? N'avons-nous pas droit à des périodes « sabbatiques » pour réaliser des projets personnels ? Il est également questionnable que la réception et la pré-sélection des CV soit faites par des gens qui n'ont pas l'expérience de l'emploi qui va être à tenir. La « notation », valorisation, d'une biographie diffère entre un pair de même métier, un manager de ceux-ci, et une vague expertise de quelqu'un spécialiste des « ressources humaines ». Or comment définir les compétences permettant d'étudier une biographie pour savoir si une personne conviendrait dans un rôle professionnel ? N'est-ce pas aussi aléatoire qu'établir un thème astral ? Sur quoi se baser pour augurer de la réussite ou de l'échec d'un recrutement ? Les éléments factuelsCe qu'indique une biographie, qu'elle soit synthétique en quelques pages ou littéraire sous la forme d'un essai, sont les expériences vécues et les apprentissages théoriques et empiriques. Cela ne dit pas si cette science acquise a été correctement conscientisée, si on en a tiré un enseignement de sagesse qui aide à mieux prendre les décisions. La problématique est d'établir si le job est opérationnel, consiste en des tâches relativement récurrentes, ou est fonctionnel, contribue à faciliter la coordination de l'organisation. Intellectuellement les compétences à avoir diffèrent entre un art (technique) qui s'acquiert le plus souvent par la pratique, et des compétences cognitives et d'intelligence humaine pour se représenter le rôle qu'on doit avoir. Et puis une difficulté apparaît lorsque lassé de son métier on souhaite en exercer un autre. Jeune adulte on avait fait sa place dans la société dans un rôle, et puis quelques années plus tard cette position ne satisfait plus et on se tourne vers un autre emploi, créant une concurrence inéquitable avec les jeunes salariés. Il m'est apparu que ce genre de choix de vie, de changement, doit être justifié avec rationalité lors d'un recrutement. La « carrière » doit être maîtrisée tel un alpiniste chevronné grimpant une voie d'escalade sur le Mont Blanc et les chutes ou erreurs mal tolérées. Paradoxalement lorsque en tant que consommateur on va acheter du pain à un boulanger, on l'emploie indirectement, mais on ne lui demande pas son CV, on regarde à quoi ressemble son pain et on le goûte pour savoir s'il est bon. Il y avait donc avant les CV l'usage de périodes d'essai sur simple demande pour observer si le candidat savait travailler, quelle qualité il produisait, et comment il se comportait avec ses collègues. Ce doit être le taux d'échec qui a induit un besoin de pré-sélection, dont la rationalité est assez discutable puisque un CV indique peu le niveau de qualité de vos travaux, des œuvres que vous avez produites, et du temps qu'il vous a fallu pour y arriver. La dimension moraleDoit également intervenir une dimension de « mentalité » : êtes-vous porté sur un syndicalisme d'opposition farouche aux stratégies des dirigeants, à un libéralisme économique darwinien, ou une vision romantique de votre labeur comme un loisir rémunéré ? Selon le cas le genre d'organisation qui prendra plaisir à vous accueillir ne sera pas le même, et les types d'emplois pas toujours tous disponibles. Comment donc fournir l'indication tant du côté de l'entreprise que du candidat que vos approches de la vie économique et politique concordent ? Il s'agit là de positionner votre éthique, vos valeurs.
Au final le CV est un équivalent de « dossier scolaire » sans notation ni appréciations, alors que par exemple les marins se servent d'un livret d'embarquement officiel afin que le capitaine ait une idée correcte du matelot qu'il prend dans son équipage. Dans un monde orwellien le CV serait dans une base de donnée nationale (ou en cloud aux USA) et serait renseigné par les entreprises. Le principe de le publier sur Linkedin n'en est pas très loin. S'y est ajouté l'apparition des réseaux sociaux dont les entreprises se servent pour savoir ce que vous racontez aux foules, sur quoi vous vous épanchez. Or la communication des entreprises devenant étroitement contrôlée, policée, il devient important que les salariés aient un discours public qui ne nuise pas à la réputation de l'entreprise, qui soit en rapport avec l'image que celle-ci cherche à montrer. Comment alors le déroulement de la vie passée peut-elle indiquer les réactions aux futures mutations de société, aux disruptions, qui sont à prévoir ?
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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