C'est ainsi que j'ai entendu nommer le constat que la religion pratiquée par les salariés d'une entreprise aurait un impact sur son « climat social ». Ce terme viendrait d'un rapport sur l'enseignement que Régis Debray aurait établi en 2002 par rapport à la laïcité dans les écoles. C'est à dire qu'au lieu de considérer l'adhésion plus ou moins forte des gens à des religions, et d'en discuter ouvertement, de proposer des débats interreligieux paisibles, l'Etat choisit d'occulter ce « phénomène social » pour éviter toute polémique. Au lieu d'un voisinage agréable fait de gens plus ou moins pieux, tout est fait pour se regarder en « chien de fusil ». Ce qui conduit à la ségrégation de communautés, à l'absence de curiosité honnête et respectueuse pour se connaître entre concitoyens, et s'apprécier. Est également apparu récemment un dictat d'athées qui prétendent que le domaine du divin ne serait qu'une pure invention de l'homme, tant pour des raisons politiques d'unité ethnique, que pour des besoins de se rassurer d'une crainte assez naturelle : les aléas de la vie. Mais ce qui nuit à toute forme de discussion est une approche de la spiritualité sous forme de dogmes. Or la définition du dogma, qui est un mot grec signifiant la croyance en une opinion, est que celle-ci est considérée vraie, et qu'elle ne doit pas être discutée, que les gens doivent s'y conformer. Or entre considérer qu'il existe un Dieu, ou plusieurs Dieux, ou aucun dieu du tout, et afficher publiquement sa conviction conduit à une problématique de réconciliation car les uns prennent les autres pour des fous. De surcroît au sein de ces dogmes coexistent des pratiques religieuses plus ou moins strictes, qui ne s'entendent pas toujours entre elles, et des principes mystiques qui parfois s'affrontent. Il est assez évident qu'une entreprise économique a déjà assez de problèmes à résoudre pour ne pas avoir en plus à gérer des querelles de clocher en interne. Et de surcroît certains bords politiques sont épris de traditions et s'effrayent de l'apparition de traditions étrangères dérangeant leurs habitudes. De là, dans un but de concorde, on a fait des discussions politiques et religieuses des tabous, car au lieu de discuter paisiblement les gens se mettent à débattre, opposent leur opinion à celle des autres pour garantir qu'ils ont raison et que les autres ont tort. C'est une volonté d'autoritarisme, antidémocratique, que le plus fort règne sur les plus faibles. Or sous cet angle les paroles chrétiennes propagées par Saint Paul de Tarse ont une volonté politique universaliste d'inclusion des faibles, mais hélas d'exclusion de la diversité religieuse. Ses propos à l'égard des grecs sont extrêmement homophobes et calomniateurs, il n'était pas d'une grande tolérance. Il est alors ironique d'entendre des athées avoir les mêmes propos, tout en excluant une croyance en un Dieu, Trinitaire ou Unique. C'est à dire qu'ils conservent l'approche politique des premiers chrétiens, mais nient toute dimension mystique. Mais surtout cela m'inquiète qu'on ne regarde plus que l'aspect croyance, qu'on évince le débat sur les mœurs, qu'on occulte la dimension idéologique.
Une idéologie peut se concevoir comme un paradigme, un point de vue particulier sur la manière dont la société doit fonctionner. Et à ce titre il paraîtrait assez logique que chaque entreprise économique, chaque organisation, mette au point sa propre idéologie avec un endoctrinement des nouveaux employés, tel que je l'ai entendu faire par une entreprise proche de Clermont-Ferrand. Mais elles peinent à se trouver des adeptes. Cette attitude managériale n'a rien de nouveau : déjà en 1988 en travaillant chez Digital Equipment France j'avais noté cette volonté de faire des salariés des prosélytes allant prêcher les vertus de leur solution informatique, tels des prédicateurs convertissant les clients impies affiliés à des concurrents. Il y avait une fanatisation de la force de vente, et tous les salariés étaient des vendeurs en puissance qui devaient agir dès qu'une occasion se présentait, comme des gourous de l'informatique.
Or la particularité des religions monothéistes est qu'elles sont fournies avec une idéologie décrite dans des Livres Saints, et que le pieux est tenu de s'y conformer car ils sont communautaires. Les athées ont pour leur part un plus large choix mais qui rejoint souvent le marxisme ou le libéralisme : un pour tous ou chacun pour soi. On voit alors la complexité qui nait pour le pouvoir politique d'un pays ou managérial d'une organisation de réussir à faire cohabiter des gens qui n'ont pas les mêmes valeurs, ne se conforment pas aux mêmes mœurs, sans devoir adopter une ségrégation entre eux. La dimension de la croyance mystique apparaît donc comme secondaire à la nécessaire coopération, à la coexistence, et c'est ce que je comprends de mon étude des textes grecs : dans l'Antiquité les gens ne croyaient pas dans leurs dieux, ils les vénéraient. C'est à dire que la croyance est prendre pour vrai, mais c'est aussi originalement en latin le fait d'avoir confiance, se fier, donc avoir une foi. Or, comme le montrent les allégories des poètes grecs que réprouve Platon, ils n'avaient qu'une confiance limité dans leurs dieux, et pensaient, comme en parle Aristote, que les plus grands hommes connaîtraient un Au-Delà où ils seraient des démons, stade intermédiaire entre le vivant et le divin. En revanche tout à chacun pouvait discuter de la Nature des Dieux comme le montre le texte éponyme de Cicéron, il n'y avait pas de dogme établi à ce sujet. Il me semble donc que si le prosélytisme est casse-pieds, et Paul de Tarse a fini décapité, il est plus urgent de lutter contre les dogmatismes pour réussir à faire discuter les idéologies entre elles. Le totalitarisme religieux a toujours été catastrophique sur le plan économique, qu'on prenne le Moyen-Âge ou l'Union Soviétique. Alors que la diversité idéologique assumée et respectée permet des performances plus grandes en terme d'innovations et de progrès, c'est ce qu'on voit chez les GAFA. Mais il faut alors prendre grand soin des dérives de mœurs qui peuvent choquer les autres, et vont parfois jusqu'à ne plus respecter les lois en vigueur dans le pays.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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