J'ai publié le 29 juin un article sur la place d'un philosophe dans une entreprise, me disant qu'il était difficile de le voir salarié, subordonné à la Direction Générale alors que le cas échéant il peut être amené à contester ses approches. Je le vois davantage subordonné au Conseil d'Administration, comme un assistant de celui-ci, avec seulement une fonction consultative, non dirigeante. Il serait donc alors employé comme consultant non-salarié, en travailleur indépendant, ce qui implique qu'il exerce alors un métier. Mot qui vient du vieux français mestier, lui-même venant d'une conjonction entre ministerium, « fonction de serviteur, service », charge que l'on a mission d'exercer, et avec mysterium, enseignements secrets expliqués aux seuls initiés. Un métier, qui se dit occupation en anglais, est donc une activité régulière dont on tire son revenu principal et qui a fait l'objet d'un apprentissage, d'une initiation à ses secrets, pour être en mesure d'accomplir une mission, rendre service. Or ce philosophe-conseil dans l'entreprise est dans ce cas, il exerce un métier, mais celui-ci n'est pas décrit dans le Répertoire Opérationnel des Métiers et Emplois (ROME), comme si ce métier n'existait pas. Mais est-ce bien le cas lorsque je découvre tous ces confrères et consoeurs dûment diplômés qui interviennent dans des entreprises pour des conférences ou des ateliers de réflexion ? Effectivement ils sont plus employés pour ce qu'on a l'habitude de faire avec un philosophe : l'enseignement de la philosophie. Comme une discipline qui existerait en totale autarcie, et serait facultative. La philosophie serait-elle alors une matière qui n'ait pour but que l'éducation et l'enseignement ? Du latin educere « faire sortir, élever, conduire en dehors », et de insignire « signaler, désigner, instruire », transmettre un savoir. Cela en ferait un mystère sans aucun ministère, presque une religion, un dogme. Je me suis donc interrogé sur ce que je fais, ce que je sais, et sur ce que faisait et savait Aristote à mon âge : il avait fait carrière dans l'enseignement de la philosophie et publié des ouvrages pratiques, tandis que je débute, et il avait étudié beaucoup de chose mais dans les limites que la science de l'époque lui permettait, donc je pense que j'en sais un peu plus que lui, sans vexer personne. Partant de là j'ai établi une sorte de « liste à la Prévert » de savoirs et savoirs-faire :
Car je trouve en observant les travaux de mes confrères et consoeurs qu'ils/elles se sont un peu placés sur des créneaux qui s'étaient ouverts récemment : le coaching et les conférences. Or si je veux bien admettre que l'activité d'Aristote à l'égard du futur Alexandre le Grand aurait pu s'appeler du « coaching », le rôle officiel de ce philosophe était d'être son précepteur, d'enseigner à Alexandre des préceptes, des règles. C'est effectivement très voisin. La seule question qu'ont alors à se poser les Administrateurs d'une entreprise qui voudraient s'adjoindre les services d'un philosophe est de savoir s'ils sont disposés à entendre des préceptes qui les feraient réfléchir, se remettre en question ? D'autre part il m'apparaît qu'il y a aussi un créneau en grande vogue, c'est celui de gourou, d'évangéliste de bien-être et de performance, qui prêchent une Apocalypse de notre civilisation, sans vraiment y proposer un remède ou une méthode d'adaptation. Dans l'Ethique à Nicomaque Aristote expose une recette du bonheur des gens et de leur société, dans la Rhétorique il donne la méthode pour les diriger démocratiquement, au moyen de la persuasion comme le faisait Gorgias, et enfin dans la Politique il fournit les règles de gestion de l'oikonomia, l'économie, la conformité aux lois qui régissent les maisons, les entreprises. Il me semble alors qu'on a tout le toolkit après lequel nous semblons en train de courir. Je conviens qu'il faille le moderniser, mais cela semble une base solide. Illustration originale Nicolas Rosquin pour Koru Conseil © 2018 Ce que je me demande aussi c'est dans quelle mesure les dirigeants d'entreprises sont sûr d'eux-mêmes et où se situent leurs doutes. L'exemple du leadership d'Alexandre est flagrant : étant en situation d'héritage d'un pouvoir (du latin potere, possibilité) et d'une puissance (posse, force) il a conquis le Bassin Méditerranéen jusqu'à la Perse et au-delà. De la croissance externe, mais un peu trop rapide. Peut-être trop sûr de lui, il n'avait pas pensé qu'il pourrait tomber malade, et n'avait pas vraiment de successeur préparé. Mais comme meneur d'hommes et stratège, rien à redire !
Or il me semble que ces grands hommes et femmes qui dirigent nos entreprises sont arrivés là à la force du poignet, qu'ils se sont fait remarquer pour leurs capacités (possibilités), leurs vertus tant intellectuelles que morales et humaines, et leurs « réussites », leurs résultats positifs. Comme l'italien riuscire d'où vient ce verbe, ils s'en sont sortis. Mais c'est peut-être parce qu'ils ont eu de la chance, et il arrive qu'elle tourne. Néanmoins ils ont obtenu un franc succès, donc les suffrages nécessaires à leur élection, leur position d'élu, répondant à leur ambition (cf. latin ambitio). Il est alors intéressant qu'un philosophe donne son avis sur son mode d'élection par le collège du Conseil d'Administration, selon l'avis des salariés qu'il gouverne, ses employés. C'est dans cette optique que j'imagine l'exercice du métier de philosophe dans une entreprise : il questionne les usages, les conventions, et parfois même les lois. Il est donc potentiellement inconvenant car un philosophe convenable serait un peu un oxymore. Mais il n'est pas un inconvénient. Le ministère du philosophe est « la morale, la pensée métaphysique, l'épistémologie, la pensée politique, etc. Donc oui, il sert aussi à penser.[1] » Or comment une entreprise, une société, peut-elle progresser sans l'aide de la pensée, d'une âme (psyché) ? Dans quelles errances partirait-elle en l'absence de réflexion, et occasionnellement de réflexions profondes, que font les philosophes ? Ne serait-ce pas là la définition de la Philosophie Pratique, et donc que ce métier pourrait s'appeler Praticien Philosophe, avec quelquefois des Philosophes Cliniciens ? [1] Point de vue émis par @OlivierSireyzol dans un débat sur Twitter.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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