Après 45 années de guerre froide et 25 ans de mondialisation, comment se place l'Europe dans le monde multipolaire qui s'est formé ? En effet après cette longue période où le monde était divisé en deux super-puissances qu'étaient les USA et l'URSS, les autres pays s'alignant sur eux ou entre eux dans un non-alignement, les USA ont acquis une suprématie à partir de 1991 (chute de l'URSS) et l'Europe s'est agglomérée autour d'une Union de pays. Reste alors autour les BRICS et les autres pays en Asie, Afrique, et Amérique du Sud. Dans un contexte où celle-ci est remise en cause par les montées du nationalisme dans les pays qui la composent, allant jusqu'à un probable Brexit du Royaume-Uni, et les situations de guerre où elle est concernée au premier chef, il convient de réfléchir au poids qu'elle représente face aux autres nations. Analyse de la question De quelle Europe parlons-nous ? L'Europe est un continent qui s'étend de la côte Atlantique jusqu'à l'Oural et de la Méditerranée au Cercle Polaire. C'est à la fois l'un des plus petits continents de la planète mais celui dont le poids économique est des plus importants. Il est composé d'une mosaïque de pays ayant une longue histoire, ayant fait l'objet de fédérations ou tentatives de fédérations, par les Romains, les Carolingiens, Bonaparte, et Hitler. Depuis les années 1970 une union pacifique de la majorité des pays s'est formée progressivement sous l'impulsion des pays les plus riches sur sa façade ouest. Il reste en dehors de cette union des pays qui s'y sont liés commercialement comme la Suisse et la Norvège, d'autres dont la situation ne leur permet pas de l'intégrer comme l'Ukraine et la Macédoine, et enfin deux importantes nations qui sont à cheval sur l'Asie que sont la Turquie et la Russie. Il a été question que la Turquie intègre l'Union mais ce projet semble devenir à présent hors de propos du fait de son gouvernement. Et le peuple britannique a exprimé par référendum son souhait que leur pays quitte cette union. D'autres développements d'unions de pays sur les autres continents (Afrique entre autres) ont vu le jour mais sont loin d'être aussi aboutis que l'Union Européenne. Comment se définit une puissance dans un contexte géostratégique ? Si on se base sur l'histoire en allant jusqu'au civilisations antiques, on la voit formée des trois aspects : militaire, économique, et politique. Il est également intéressant de traduire ce substantif en anglais car le mot power désigne autant la puissance que le pouvoir, et ensuite en allemand, ce qui se décline en kraft (force) et macht (autorité). Les langues (cultures) n'en ont donc pas la même perception. Les anglophones ont subdivisé leur notion en hard power (matériel, effectif) et soft power (influence, indirect). On peut ainsi regarder ce mot selon des angles différents. La puissance militaire est surtout représentative d'un hard power et de kraft, mais aussi de soft power (dissuasion) et de macht (capacité de projection). Il n'en reste pas moins que pour faire usage de l'armée il faut en avoir le pouvoir et que celui de l'Europe est soumis à des votes de plusieurs parlements (national, continental, et conseil de sécurité de l'ONU). A l'inverse la puissance économique est plutôt du ressort du soft power et du macht (normes) mais dicte les affaires commerciales du fait de son poids, kraft industriel et technologique. Enfin la puissance politique nécessite des fondements, à savoir un gouvernement et une capacité diplomatique, mais aussi une stabilité et une cohésion interne. Il faut également y inclure les productions intellectuelle comme la philosophie (au sens très large) ou le journalisme qui peuvent induire des changements politiques internes ou dans d'autres pays (ie je classe ici Marx et Lénine dans le champ des « philosophes » pour simplifier mon propos). S'y est adjoint depuis dix ans les outils de réseaux sociaux internet avec lesquels les populations interfèrent dans les débats. Mais cette analyse ne serait pas complète sans s’interroger sur le verbe. Cogito ergo sum peut-il valider qu'une chose formée d'une population répartie sur un espace géographique puisse être une entité identifiable par une caractéristique (la puissance) et en dispose ? Un peu comme si on regardait une fourmilière ou une ruche et qu'on se le demande. Or si celle-ci est menacée par un autre essaim, il y a effectivement manifestation d'une puissance coordonnée pour la combattre. La puissance serait donc une notion qui prend sens en la comparant aux puissances concurrentes. Eléments supportant la thèseLes trois éléments constitutifs d'une puissance semblent tangiblement présents pour l'Europe. Sur le plan militaire les armées françaises et britanniques sont parmi les plus puissantes du monde, même si elles sont loin d'égaler celles des USA ou de la Chine[1]. Se pose la question de savoir s'il faut englober l'armée russe (voire turque) dans le comptage des forces armées européennes. Si celle-ci a été jusqu'à présent plutôt perçue comme étrangère à l'Europe, voire hostile, certains propos peuvent conduire à se demander quand les forces russes seront considérées comme européennes. Mais il reste du chemin à parcourir, surtout pour les allemands. Cette force militaire est employée sur le sol français dans le cadre de l'Etat d'Urgence suite aux attentats parisiens et en province, et en projection tant pour le maintient de la paix en Afrique, que de manière offensive en Irak et en Syrie. Même si cette puissance militaire européenne semble faible comparée aux super-puissances, elle reste très significative avec près de 300 milliards de USD de dépenses pour toute l'Union Européenne (données 2010). Ainsi l'Europe peut affirmer une certaine autorité dans les situations de tensions et de conflits. Néanmoins il ne s'agit pas d'une force coordonnée sous un commandement unifié sauf dans les cas d'opérations ponctuelles (Libye, Syrie). Au niveau économique l'Europe est le continent le plus riche du Globe. Avec 18,7 billions de USD (UE 16 b$) en PIB, l'Europe (Russie incluse, 1,3 b$) est devant les USA (17 b$) et la Chine (10 b$) [source : CIA World Factbook]. Elle est aussi le continent le plus avancé en terme de normes de production, que ce soit en progrès technologique ou en respect de l'environnement. Même si dans le domaine des NTIC les USA sont en avance grâce à la synergie de la Sillicon Valley, les Européens ne sont pas en reste et investissent sur ce secteur. La puissance économique européenne est donc incontestable. Mais là encore elle se subdivise en nations, même si la monnaie unique et la libre-circulation peut permettre de la voir comme un marché unique. Enfin sur le plan politique elle se trouve entre deux eaux, disposant d'un parlement et d'une justice européenne mais pas d'un gouvernement central, l'exécutif étant laissé libre pour chaque pays. De fait ces pays sont pour beaucoup des monarchies constitutionnelles et pour l'autre des républiques. La capacité d'influence diplomatique est donc particulière puisque le poids du marché permet aux commissions du parlement européen de négocier des traités commerciaux mais en revanche ces traités doivent être ensuite ratifiés par chacun des pays. Et au niveau de l'ONU l'Union Européenne siège comme observateur et porte-parole des autres nations, ça n'est pas un membre à part entière. C'est un peu une sorte de syndicat des nations européennes. Ainsi les relations avec des puissances étrangères restent gérées par les principaux pays membres, comme on peut le voir au G7 ou au G20. Il y a certes un Soft power politique mais le Macht (CETA, contrôle élections en Afrique) n'est pas totalement convaincant. Eléments contredisant Un facteur de puissance d'un état, d'une région, est sa capacité à s'unir autour d'un concept de nation, qui va généralement de pair avec une langue unique et une culture unique. Il y a des exceptions comme le Royaume-Uni qui est composé de 4 nations, ou la Suisse qui parle 4 langues. Cette union potentielle du peuple peut servir en cas de guerre à une mobilisation générale ne faisant pas l'objet de dissensions. Or avec 28 pays pour l'Union Européenne, on en est déjà à 32 nations (j'en compte deux pour la Belgique) ce qui rend assez hasardeux l'idée d'une mobilisation contre un possible ennemi étranger à l'Europe. Sans compter le nombre de langues parlées car l'anglais est loin d'être généralisé comme ligua franca européenne. L'élan fondateur qui avait animé les peuples européens lors de la constitution de l'Union subit les assauts des courants nationalistes actuels. On voit donc mal l'ensemble de ces peuples décider de s'unir à nouveau dans un élan commun, surtout après les critiques de la mauvaise gestion de la Grèce. De même la cohésion politique est assez indistincte. L'absence d'un gouvernement européen, et surtout d'un Chef de gouvernement européen qui aurait le pouvoir de fédérer tout le continent autour de sa parole fait que les éléments de puissance cités au chapitre précédent semblent être laissé sans gouvernance. Dans les fait il s'agit d'une forme de gouvernance collégiale qui n'en a pas le nom. Chaque chef d'état gouverne son pays avec une forme de coordination avec ses homologues des autres pays. Il n'y a personne, hormis le parlement européen, pour donner des directions à suivre à l'échelle du continent. Pour autant que je sache, ça ne s'est jamais vu dans l'histoire occidentale d'avoir une population dirigée par des gouvernements chargés de sous-groupes sans qu'il y ait un gouvernement central. Même le Saint Empire Romain Germanique, probablement le modèle le plus proche de l'Union Européenne, avait un empereur à sa tête. Enfin une puissance géostratégique n'existe pas pour un instant t, elle s'inscrit dans la durée, dans l'histoire. Or l'histoire de l'Europe est faite d'une multitude de petites histoires, surtout au Moyen-Age, et n'est pas enseignée globalement du fait des cultures diverses qui la composent et que l'on souhaite préserver. Il y a des éducations nationales par pays mais aucunement « d'Education Européenne ». Du coup l'Europe en tant que puissance unifiée apparaît comme un mythe. Son existence est extrêmement récente, à peine quelques décennies. Les USA ont attendu près d'un siècle et demi[2] avant de commencer à vouloir s'imposer sur le monde comme puissance significative. Synthèse Chacun verra le verre à moitié vide ou à moitié plein. Sur les aspects tangibles, armée et économie, l'Europe est indéniablement une puissance qui rivalise avec les états les plus puissants de la planète, voire les domine. Mais sur les aspects humains, dont la politique et la diplomatie, ça n'est pas le cas. L'Europe reste une association de peuples et le référendum du Brexit montre qu'environ 50% de la population (en l'occurence britannique) ne partage pas cette idée d'unisson. Il est donc difficile de considérer que cette puissance s'exerce mais plutôt qu'elle est latente et ne demande qu'à ce que l'Union soit achevée par la constitution d'un gouvernement central, avec la désignation d'un chef à sa tête. Et ça, ça n'est pas prêt d'arriver de sitôt à mon avis. Les égos des nations sont encore trop forts et chaque pays européen est trop content de pouvoir être reçu et négocier directement avec le Président des Etat-Unis ou de la Chine. Accepter un gouvernement européen reviendrait à reléguer les pays qui la composent au rang de régions, de provinces. Quant à évaluer les perspective d'avenir, c'est en ce moment assez difficile de ne pas être pessimiste avec les courants nationalistes qui motivent les peuples européen à retrouver une totale indépendance. Et je m'étonne du peu de communications pédagogiques qui expliqueraient pourquoi il est important d'être fort et puissant quand on a des voisins qui le sont énormément. En même temps le monde serait-il plus stable avec trois Empires le dominant ? Car le risque de trois « empires » est que deux s'unissent pour manger le troisième. Est-ce pour cela que les extrèmes-droites européennes prônent le retour à des petits pays afin de retrouver une bipolarité stable ? [1] Budgets défense 2015 : USA 597 Md$, Chine 146 Md$, Russie 66 Md$, Royaume-Uni 56 Md$, France 47 Md$
[2] 144 ans exactement.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
Catégories
Tous
|