Dans les métiers que j'ai exercé avant d'opter pour celui de philosophe, il y avait l'informatique où on cherche les erreurs qu'on a commis en rédigeant un automatisme, puis le contrôle de gestion où on s'assure qu'il n'y a pas d'erreur comptable dans les rapports que l'on publie. Cela s'appelle la fonction de l'audit, mot anglais qui désigne l'inspection des comptes, qui à l'origine était orale. Mais déjà dans la Grèce antique, les dirigeants et titulaires d'une autorité publique devaient rendre leurs comptes à la fin de leur mandat, d'où le principe de responsabilité, de répondre de ses actes. Or les philosophes ont-ils à répondre des leurs, comme le firent Socrate et Aristote, poursuivis pour impiété ? Un ami philosophe me disait récemment que je devrais comme lui établir mes textes d'une manière plus facile pour mes lecteurs sans pour autant déformer ou trahir nos pensées. Car écrire sans être lu dénote un bug pour l'écrivain, une erreur dans le procédé, une anomalie dans sa manière de faire qui est un temps perdu. Nul besoin pour l'écrivain de répondre de son texte lorsqu'il n'a aucun lecteur. Mais alors l'auditeur doit s'interroger si l'écrivain est incompétent, ne sait pas évaluer la qualité de son travail et l'améliorer, ou si une difficulté serait du côté du public lui-même ? Car la philosophie n'est finalement pas une science ou une technique, si on en croît la définition d'Aristote, et au lieu de définir une activité précise de ce métier (non répertorié par l'INSEE) on parle plutôt de penseurs. Selon le CNRTL le terme de penseur apparaîtrait en 1762 comme étant « celui qui a des idées philosophiques profondes ». Mais une idée philosophique est-elle nécessairement l'oeuvre d'un philosophe ? Dans son ouvrage de Métaphysique Aristote critique l'approche platonicienne de l'étude du réel par les idées. Il y préfère les 4 causes de l'être qui sont sa forme, sa matière, sa motricité ou motivation, et sa finalité. Quand Platon a plein d'idées, Aristote analyse les « merveilles du monde » (sic) qu'il contemple avec une méthodologie logique, ce qui je pense fait de lui un technicien de la sagesse. Car il ne faut pas oublier qu'au départ le mot grec philo-sophia est l'amour de la sagesse, par opposition aux sophistes qui sont des experts de la sagesse, et dont les raisonnements (sophistiqués) sont plutôt fallacieux, ainsi que les philodoxes que cite Platon, ces amoureux des opinions. D'autre part dans l'étude que j'ai réalisé sur les écoles de pensée grecques antiques, celle-ci ne sont pas des œuvres isolée de penseurs tel qu'on le voit apparaître plus tard avec Plotin ou St Augustin, mais davantage des disciples se regroupant autour d'une doctrine fondée par un maître et devenant une hérésie, un choix de mode de vie et de système de valeurs. Et puis on peut aussi observer les traductions en grec du mot 'penseur' qui peuvent être le στοχαστής (stochastis) qui se complait dans les conjectures, le διανοούμενος (dianoyumènos) qui passe son temps à réfléchir, et le σκεπτόμενος (sceptomènos) qui cogite sans cesse. Sous un angle psychologique on dirait presque des troubles de la personnalité, et à part pour la διάνοια (dianoia) qui prend un sens d'intellect et de génie, on ne trouve pas de référence aux penseurs dans les ouvrages philosophiques de cette époque que j'ai lu.
Or dans notre état d'avancement de civilisation, entre une démographie et une consommation des ressources terrestres excédant les capacités de notre planète, et des mouvements de colères fréquent où certains reprochent à d'autres leurs mœurs, leurs décisions, n'est-ce pas de sagesse dont nous manquons le plus ? Le sage n'est-il pas paisible et mesuré, concevant ses actions dans une optique de bonheur collectif, d'une prise en compte des moyens et des possibilités, en visant le bien de sa société ? Evidemment le sage est souvent vu comme frugal, se frustrant de luxure, comme le mythe de l'ermite vivant à l'écart du village, du moine solitaire. Il plait davantage de se dévergonder, de faire les cent coups, quitte à affronter des tourments qui sont vus comme des chimères à vaincre. Mais il faut se rappeler de la racine latine commune entre le sage et le savant, ainsi que la saveur. Selon Montaigne le sage est « celui qui, par un art de vivre, se met à l'abri de ce qui tourmente les autres hommes ». La philosophie devrait alors être le goût, l'appétit de la sérénité.
Le philosophe exerce t'il donc un métier, si on prend l'exemple de Thalès comme le premier connu ? Sans lui nous aurions pris un retard considérable en mathématique et en géométrie, voire peut-être aussi en astronomie. N'était-il qu'un individu ordinaire de son temps, interchangeable, ou un homme exceptionnel, irremplaçable ? Son théorème aurait-il pu être établi par quelqu'un d'autre ? N'avons-nous pas une immense gratitude à lui devoir pour avoir stimulé l'apparition de la philosophie ? Ne sommes nous pas également redevables envers les centaines qui l'ont suivi ? Si un Thalès en herbe se lançait ainsi, en solitaire, dans des contemplations réflexives, devons-nous le laisser faire à l'identique et lui permettre une opportunité de gruger les producteurs d'huile d'olive pour se doter d'un capital, ou lui accorder une sorte de rente en nous cotisant pour le bien qu'il nous apportera ? Les philosophes actuels doivent-ils bénéficier d'un emploi au CNRS pour exercer leur art ?
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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