Je n'ai pas la chance d'avoir dans mes relations tous les types de personnalités que je voudrais, mais j'en ai un certain nombre, assez pour en tirer quelques déductions : il y a assez peu de gens qui accordent de l'intérêt à la généalogie, la plupart se pensant eux-même comme une sorte de combinaison unique de numéros du loto apparue par hasard, sans antériorité. Ceux-ci sont visiblement les moins enclins à porter un intérêt aux problématiques dont ont parlé les philosophes au cours des siècles. Sur cette abscisse qu'est le temps ils se voient comme un point dans l'instant présent, à peine comme un segment depuis leur naissance, mais certainement pas comme la résultante d'une éternelle expérience génétique et intellectuelle. Leurs vies apparaissent et disparaissent, sortes de lumières fugaces, dont il ne reste qu'une réminiscence de leur existence.
Etions nous plus idiots hier et serons-nous plus malins demain ? Forcément. Mais il y a une relation à son degré d'intelligence, que je définis comme la capacité à collecter des informations et à les comprendre, c'est à dire les relier aux informations déjà connues pour que le tout soit cohérent. Or il y a des gens qui n'ont aucun désir de devenir plus malin chaque jour, se trouvant parfaitement achevés, confortables avec ce qu'ils savent déjà. Mais il y a eu aussi des gens qui étaient extrêmement malins à leur époque, bien plus que leurs contemporains, et qui ont eu la générosité de nous léguer une partie de leur intelligence avec des écrits qui ont défié les siècles. Et puis avec les progrès de la technologie de l'information ces legs sont devenus de plus en plus aisés, et nous sommes à présent inondés d'informations, dont l'intelligence est quelquefois fort discutable, quand elles ne sont pas carrément des fausses rumeurs. Cela ressemble à un tas de sable conique, au sommet duquel certains ont accroché des livres qualifiés de saints, divins. Si on prend l'exemple de ce qu'on appelle aujourd'hui « l'intelligence émotionnelle » il est presque cocasse de retracer, depuis Socrate jusqu'à nos jours, la science dont on a disposé sur ce phénomène qui est en partie biologique et en partie psychique, comparable au fait de se nourrir de mets goûteux qui nous met de bonne humeur. Et de constater alors une attitude moralisatrice de « bien-pensants » voulant nous dicter à chaque époque ce qu'il convient de faire (déontologie) pour que la société ne soit pas polluée par des individus impulsifs et intempérants. Initialement les grecs parlaient de passions (pathé), de ressentis, puis en latin c'est devenu des affections, sorte de maux. Descartes n'a su quoi en penser, qu'en faire. Et aujourd'hui le précepte de réfléchir et analyser ses émotions pour en tirer un parti profitable serait comme vouloir donner une utilité économique à la gastronomie. Au final ce qui serait intéressant serait de comprendre pourquoi les gens veulent bien ressentir des émotions si elles sont provoquées par des professionnels de l'émoi (acteurs, artistes, romanciers, etc) donc un peu démagogiques, mais les détestent lorsqu'elle surgissent à l'improviste par le fait d'un amateur inconséquent. Et que certaines sont interdites à certains, caractéristique culturelle, comme la colère, alors que c'est sans doute la plus nécessaire à bien comprendre pour créer une société harmonieuse, puisqu'elle est causée par un manque de respect entre des individus, ou quelquefois par orgueil. De là on voit vite qu'une problématique pluri-millénaire jamais résolue est celle des mœurs. Et l'influence grandissante de la culture anglo-américaine puritaine qui se prétend compétente pour définir qui est un « type bien » et qui est un « salaud » a de quoi inquiéter nos libertés. D'autres prêcheurs radicaux nous ont également entraîné dans une guerre assez sale dont ils croyaient pouvoir finir victorieux. Il est évident que dans un pays donné, avec un système législatif qui s'y applique partout de façon uniforme, si certains ne s'y plient pas ils sont délictueux. Mais si alors les congrégations religieuses, comme leur nom l'indique, décrètent quelles sont les mœurs acceptables et celles qu'elles réprouvent, indépendamment de ce que les lois autorisent, des citoyens honnêtes peuvent se retrouver excommuniés, rejetés par une communauté sans avoir toujours la possibilité d'en rejoindre une autre. Or autant les religions monothéistes se sont toujours souciées des mœurs car il en va du salut de l'âme, ce carrefour qu'elle doit franchir lors du trépas vers ce que Platon appelait les Îles Bienheureuses et l'Enfer, autant les polythéistes semblaient plus relax, étant peut-être moins convaincu par ce qui pouvait advenir dans cet au-delà dont on ne sait rien. Donc se dire qu'il n'y a que les conventions sociales en vigueur qui importent et que nos ancêtres qui en suivaient d'autres étaient des imbéciles revient à paraphraser Cicéron qui s'en était rendu compte il y a 2000 ans. Celui-ci n'était donc pas bête, et il me semble opportun de savoir ce qu'ont dit des gens qui étaient manifestement pas bêtes, cela permet de gagner du temps en n'ayant pas à imaginer à nouveau les questionnements auxquels ils avaient apporté une réponse. Il n'y a alors plus qu'à éventuellement vérifier si leur réponse à l'époque serait aujourd'hui erronée, sachant qu'au cours des siècles d'autres points de vues issus d'opinions prévalentes à ces époques ont pu momentanément infirmer les conclusions de leurs prédécesseurs par d'autres qui se voyaient plus justes. Plutôt que de caverne, Platon aurait dû parler de Thésée dans son labyrinthe. Ainsi la lecture du dialogue entre Socrate et les professeurs de rhétorique dans Gorgias, où il critique le principe d'obtenir des suffrages en prononçant des discours qui plaisent, est indiscutablement le principe de nos « réseaux sociaux » où les experts en art oratoire qui est devenu épistolier cherchent à recueillir un maximum de 'Like' pour asseoir leur célébrité. Il y a d'ailleurs certainement un marché pour des experts qui enseigneraient l'art d'écrire des « posts » ou des « tweets » ayant un succès fou. Mais comme l'explique Socrate, s'évertuer à gouverner en prenant des décisions qui rendent fou de joie le Demos ne garantit pas que celui-ci ne finira pas par vous détrôner le jour où vous lui déplaisez. Beaucoup de chanteurs qui ont disparu des « charts » après s'être hissé à leur sommet ont vécu cela. Plaire aux foules est donc très volatile, les spécialistes du marketing le savent tous. Mais ce qui me frappe est que les constats que l'on faisait avant l'apparition du Christianisme ressemblent furieusement à ceux auxquels on revient aujourd'hui.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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