Les gens ont des envies, et des manques dont ils n’ont pas toujours conscience, croyant que c’est dans la volupté ou l’accomplissement de soi qu’il trouveront le bien. Ils ont un idéal de bien personnel mais n’arrivent pas à s’entendre sur un bien commun, et ceux qui ont la puissance d’employer les autres les tyrannisent. Platon et Aristote l’ont décrit en montrant le défaut de la démocratie. Mais leurs études ne sont pas prises en compte, parce que leurs arguments ne reposent pas sur des faits constatés de nos jours. L’humain admet ce qu’il voit mais pense que ce qui a été vu il y a 2500 ans n’a plus cours, il le dénigre. Aujourd’hui fait science ce qui se corrobore par l’expérience en laboratoire, puis sur une population « lambda ». Sans mesurabilité la chose est inconnue, négligée. Dans l’Antiquité, dépourvus de laboratoires et d’instruments, la science était établie par spéculation sur la causalité et la logique du phénomène, de façon collégiale. Cela ne s’emploie plus que pour la physique-chimie et les mathématiques : les théories peuvent être établies par calcul et vérifiées des décennies plus tard. Mais le vivant ne peut être prévu par des équations, seulement mesuré par des statistiques qui montrent les chances d’apparition ou disparition d’un phénomène. Et alors comment peut-on s’y prendre pour établir une théorie éthique et la mesurer ? John Rawls y avait pensé avec une théorie de justice qui suggérait des metrics. Or il y a des mesures de la population qui sont nuisibles car elles promeuvent certains et excluent d’autres selon des mérites arbitraires. Ainsi avec le DISC (Marston 1928) on est rangé vert ou rouge, sans moyen de choisir, et présumé plus efficace pour certains rôles, sans considération pour les goûts et envies de l’individu. Être humaniste est souhaiter que chaque personne dispose d’un confort de vie minimal, et d’opportunités pour vivre une existence qui lui soit agréable. Ce confort a un coût d’acquisition et d’entretien, et le minimum dépend des résistances biologiques et psychiques de chacun qui lui permettent de rester en bonne santé. Les gens ne sont pas égaux en terme de besoins, de capacités, de sensibilité, et d'intelligence. Ce qui leur est agréable dépend de leurs goûts, mais n’est pas toujours sain. Or ce qui fait la différence entre l’homme et l’animal, c’est que l’homme veut assouvir une vocation en plus d’une existence animale, et qu’il a une capacité de discernement entre le bien et le mal, le beau et le laid, le juste et l’injuste. Cependant ce discernement qui agit selon le principe informatique du if-then-else peut être remis en cause par des expériences dont on tire une théorie autodidacte, ou par des conseils externes venant de scientifiques ou de pseudo-scientifiques, ou de « régulateurs ». Son ethos (mode d’être, personnalité) et son éthique (comportement résultant du discernement) peuvent donc évoluer au fil de sa vie, et être plus ou moins appréciés d’autrui. L’inconvénient survient lorsqu’il estime son ethos et son éthique idéales et œuvre pour que tous ceux qui l’écoutent fassent comme lui. Il devient sophiste, prédicateur. Mais la société est faite de gouvernants, d’exécutants, et d’indépendants qui font les deux pour eux-mêmes. L’important est de réussir à les associer pour qu’ils coopèrent afin que la cité ne soit pas qu’une « boîte », un lieu où on s’agglutinerait pour la facilité de conjuguer confort et vocation. La cité repose sur les échanges et la cohésion. Faut-il donc qu’au sein de la cité l’éthique soit commune et que l’ethos soit évalué selon un barème de vertus et vices commun à tout le monde ? La conséquence produit le principe de la noblesse qui dépasse le vulgaire, et de l’ostracisme des vicieux. L'employeur y devient une sorte de chevalier avec des serfs, et les élus (politiques) se prennent pour des seigneurs, commandent le peuple. C’est le règne de l’autorité de bergers sur des troupeaux de moutons, dont on tond la laine. Hélas un problème surgit alors avec l’autonomie indispensable pour pouvoir se diriger soi-même (self-management). Pour pouvoir être prudent il faut avoir la connaissance de son environnement et savoir comment produire des effets qui vont apporter confort et réussite de sa vocation, sans entraîner de dommage à soi ou à d’autre que soi. C'est la devise du médecin : « avant tout ne pas nuire ». C’est là où d’une part il peut être compliqué de s’informer, l’information s’obtenant par bouche à oreille, et qu’il faut des causes et des moteurs pour qu’il y ait effet. Il faut également qu'on vous fasse confiance, qu'on vous accorde vos tentatives. La science qui mesure n’est donc d’aucun secours, il nous faut une science spéculative qui nous dise comment parvenir à nos fins (télos), sans que ce soit des mensonges. Platon nous indique dans la République que la science est un « niveau de l'âme » qui s'atteint par la dialectique, c'est à dire un dialogue avec d'autres philosophes qui ont observé le même phénomène, et l'ont pensé, réfléchi (dianoia), plutôt que simplement se forger une croyance (pistis) sur le sens de la représentation (image) de ce qu'ils ont perçu. Il alerte en revanche sur les sophistes (en préfigurant le principe des PowerPoints ?) car à l'issue d'une présentation chacun y va de son avis et le sophiste cherche les suffrages ("Likes") ce qui en fait de la philodoxie, de l'amour des opinions. Car le bonheur collectif est a priori une cité où chacun a une dignité reconnue de tous, et une liberté d'agir qui comme le dit la Constitution s'arrête là où commence la liberté d'autrui. Dès lors dans une entreprise sommes nous subordonnés à la liberté de son propriétaire ou de son intendant ? Sommes-nous chez lui ? Sommes-nous ses serfs, ses larbins ? Avons-nous besoin d'être intéressés, motivés ? Sommes-nous lui et nous cupides, avares ? Nous voyons donc que la difficulté est que ceux qui ont un intérêt réciproque à s'associer se rencontrent, se présentent l'un à l'autre, et se trouvent mutuellement désirables car ils s'apportent des solutions à leurs problèmes, trouvent du plaisir dans la relation, et ne s'obligent pas à des coûts qui nuiraient à leurs moyens. Ainsi chacun contribue à la vocation de l'autre, à son ambition. C'est en cela que l'échange s'opère, par des objets, des services, de l'argent, ou des idées. Une nuisance étant dans l'enrichissement qui entraîne un pouvoir de forcer quelqu'un à se soumettre à la volonté de l'autre du fait de sa faiblesse de moyens, de sa pauvreté. Le curriculum vitae qui est littéralement le « déroulement de la vie » est donc absurde pour se présenter les uns aux autres, sauf pour connaître ce qu'ils ont vécu, éprouvé. Ce qu'il faut fournir est un prospectus, un résumé de ce que le lecteur peut s'attendre à constater lorsqu'il verra la personne à l'œuvre. C'est là où se voit la nuance entre une science qui a vérifié ses théories (mesuré les effets) et une science spéculative où les mesures ne seront possibles qu'après qu'elle ait été appliquée. Ainsi quand un médecin vous conseille le soin à apporter à votre maladie, il spécule que le traitement vous aidera à retrouver la santé, mais ça n'est qu'après un délai qu'il pourra mesurer s'il s'est trompé ou s'il avait raison. Il se base pour cela sur les statistiques qui indiquent les chances d'efficacité (ou de nuisance) d'un procédé. Mais pour le malade qui n'y connaît rien en physiologie ou en chimie, comment distinguer la validité de la science entre la spéculation d'un docteur et celle d'un sophiste doué en technique de persuasion ? C'est là où avec ce prospectus en main vous devez pouvoir spéculer vous-même sur les chances et les risques que le discours soit trompeur, fantaisiste, et mène à une nuisance plus qu'à un bien. Comme le montra Platon dans Gorgias, le sophiste est expert en technique de persuasion. La problématique devient alors de juger si on peut faire confiance à l'inconnu. Or qu'attend-on de lui ? D'abord de connaître sa vocation pour savoir si on pourra la servir, et si elle ne vient pas nuire à nos propres ambitions. Ensuite qu'il soit habile dans les domaines pour lesquels on l'emploie, dans lesquels il est capable de liberté, tout en étant soi-même habile dans les domaines où il est handicapé afin de l'aider à surmonter ses lacunes. Ça me semble être là le fondement des hommes depuis qu'ils existent, qu'ils se regroupent en tribus, qu'ils s'échangent des services. Le surhomme de Nietzsche capable de tout faire, chameau, lion, ou enfant, est un mythe, une poésie. Mais on attend aussi que la relation soit plaisante, agréable, et là la complexité se rapporte au principe du goût : on aime ou pas. Empédocle a donc raison que l'amour est principe d'attraction et que la querelle est celui de la répulsion. Si la relation n'est pas amicale, la querelle viendra. Comment donc indiquer dans votre prospectus vos habiletés, vos goûts, et le goût que vous avez ? Il me semble qu'il faut indiquer ses réalisations, les preuves de ce qu'on a pu faire, là où on a excellé, et les manières dont on traite les problèmes, les nécessités inhérentes à notre vocation. Puis il faut savoir ce qu'on aime et ce qu'on déteste chez les autres, et le formuler d'une façon qui ne soit pas un jugement des qualités des gens, mais simplement l'indication de ses goûts. C'est là où par expérience les gens m'ont paru malhabiles car leurs dégoûts me semblaient chercher querelle, comme un retournement de la théorie d'Empédocle. Et enfin il faut être à même de se décrire d'une manière honnête, ce qui peut être compliqué selon l'estime que l'on a de soi-même, et de son désir de s'associer avec son lecteur de prospectus. On tend à se parer de beaux atours plutôt que se montrer en déshabillé, en jogging. On se fait aimable artificiellement. Puis l'étape suivante est de ne pas envoyer ce prospectus comme des bouteilles à la mer mais de parvenir à viser une cible sans trop tomber à côté. Il faut présager des gens qui vont désirer établir une relation avec vous, et que ceux-ci ne se dissimulent pas dans un secret de leur existence. Or c'est là le cœur de notre difficulté sociale : on ne se montre que pour aller à la pêche aux relations, dans des contextes où il n'y pas de honte à s'y trouver. On se retrouve donc imbécile (en latin imbecilitas est la faiblesse, le handicap) en ayant besoin de connaître des gens qui se cachent. On aurait pu espérer un mieux avec l'apparition des sites Internet mais l'absence de normes créé une profusion de variété de discours et les gens y disent ce qu'ils réussissent à faire d'eux-même mais aucunement leurs handicaps. On se sent donc seul imbécile au milieu d'une foule de surdoués. Car un aspect qui va déterminer s'il est opportun de vous salarier ou de rester en free-lance est la permanence du besoin que l'on a de vous. Un médecin ne candidate pas dans une PME de 50 personnes pour y soigner les accidents du travail, il lui faut une patientèle beaucoup plus grande pour l'employer à temps complet, selon les fréquences d'accidents et de maladies qui apparaissent dans la population. Par contre sur un site de 1500 personnes ça devient opportun d'avoir un médecin à demeure plutôt qu'aller en chercher un quand il y en a besoin. Le philosophe doit donc se demander à quelle fréquence on va pouvoir avoir besoin de lui, et à qui il va pouvoir apporter ses soins, quel est leur souci qu'il maîtrise. Puis la difficulté est de faire une large publicité des problèmes qu'il solutionne pour que la population de la cité sache qu'il sait résoudre un problème sur lequel ils sont idiots, démunis. Le chercheur d'emploi doit donc avoir son site web sur lequel il publie son prospectus pour que les moteurs de recherche l'indexent, et qu'on le retrouve par mots-clé. Le recruteur devient alors un prospecteur, un expert en prospectus. Sauf que la conséquence est, comme on le voit avec les prospectus dans les boîtes aux lettres, qu'on peut se retrouver inondé d'annonces de solutions à des problèmes que vous n'avez pas car le prospectus a été envoyé massivement. Comme on sait que 3% touche une cible, et qu'il nous faut N victoires, on balance Nx33,3 lancers, un peu comme les archers du Moyen-Âge : on tire à la volée. Les publicistes n'ont aucun respect pour les 97% qu'ils importunent. Comment autorise t'on des méthodes aussi sordides ? Leur effet est d'inciter les destinataires potentiels à rester secrets pour être tranquilles. Sorti par la porte le publiciste tentera alors de revenir en s'accolant à un message qui est voulu, et pollue alors les émetteurs de musique ou d'information qui y trouvent là leur source de revenus. Pour assouvir leur vocation de transmettre des connaissances, les auteurs se transforment en homme-sandwich. Il y a donc un travers (biais) dans le modèle économique apparu au 19ème siècle quand on peignait des réclames sur les façades des immeubles. Mais si on a admis cette laideur, elle n'a pas encore persuadé le public car on s'arrange aujourd'hui pour que la publicité le distraie, ait des aspects comiques. Comment donc faire en sorte que votre lecteur ait désiré recevoir votre prospectus ? Qu'il soit porté à vous en remercier ? En sachant qu'il fait tout pour ne pas être connu, sauf pour les bienfaits qu'il prodigue. Il faut réussir à établir la relation entre ce qu'il fait et les difficultés auxquelles il peut être confronté, donc présumer des enjeux qui lui sont importants. Il faut également présumer de ses goûts, de ses loisirs, pour déterminer si vous allez être quelqu'un qu'il va désirer connaître. Et enfin il faut imaginer sa richesse pour savoir s'il dispose des moyens de vous employer, combien vous allez lui coûter en perte de sa fortune, par rapport à la valeur du bienfait que vous allez lui apporter. C'est là que se fait le lien entre l'habileté, l'ethos, et l'éthique. L'éthique ne signifiant pas que vous devez être un ange car certains sont friands de démons, mais qu'elles doivent s'accorder. Pour avoir ainsi notre place dans la cité nous devons donc être un bienfaiteur auprès de ceux qui n'ont pas la ressource de se satisfaire eux-mêmes, être celui qui répondra à des enjeux, en ayant un ethos et une éthique qui sied à ceux qui vous emploient. C'est pour cette raison qu'il faut permettre une variété d'ethos et d'éthiques afin que chacun ait la possibilité d'agir selon ses goûts et ses habiletés. Et qu'il faut aussi admettre une tolérance pour ne pas être orgueilleux, se croire supérieur aux autres, tout en jonglant avec une fausse humilité pour ne pas blesser ceux qui s'imaginent inférieurs à vous. Beaucoup restent en effet convaincus que nous sommes dans une société aristocratique, ce qui n'est pas totalement faux, sauf qu'elle s'exerce par la puissance (financière et politique) au lieu de la noblesse ou du niveau d'habileté. Il faut donc montrer une relative humilité dans votre prospection. Car un des enjeux de l'entreprise est la cohésion de son personnel et son ouverture d'esprit.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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