Historiquement on a d'abord eu des livres manuscrits, recopiés à la main, puis Gutenberg a mis au point une technique de copie mécanique, qui s'est perfectionnée. Ainsi ont pu naître des journaux en parallèle des livres. Format plus mince, textes d'actualité, et occasionnels pamphlets. Et puis assez récemment (environ 100 ans en arrière) savoir lire et écrire s'est démocratisé, est devenu maîtrisé par toute la population, sauf d'exceptionnels exclus de cette habileté. Et enfin depuis environ 20 ans, il ne suffit plus que d'un accès Internet pour diffuser des textes sans besoin de papier, d'imprimerie, à un vaste lectorat. Celui-ci se trouve donc noyé, inondé de toutes sortes de textes et illustrations, films amateur, musiques, dont la qualité est très inégale. Au lieu qu'une chaîne de diffusion professionnelle, qui veut gagner sa vie, effectue un choix de ce qui se communique afin que ça se vende, n'importe qui peut aller raconter ses histoires à qui veut l'entendre, y compris des sornettes. Se pose alors un problème de crédibilité et d'autorité, ainsi que de qualité. Est-ce le volume de diffusion qui établit la vérité, ou des jugements de pairs ? Pour les journaux, les journalistes sont présumés vérifier les faits qu'on porte à leur connaissance avant de les relayer massivement. Mais s'il s'agit d'une théorie, c'est à dire de règles de causalité d'un phénomène, qui peut s'assurer si elle est vraie ou fausse ? Si c'est une instruction, un mode d'emploi, un procédé, qu'est-ce qui nous garantit qu'il n'entraîne pas d'effets funestes ? Et enfin, comme on peut le constater, il y a un goût manifeste de publier des avis qui vantent des biens (bonheur) ou dénoncent des maux (malheur) car à présent les lecteurs peuvent réagir par des « j'aime », exprimer leur opinion sur le texte. Certains sites s'étant même fait une spécialité que leurs usagers soient des journalistes de leur vie, et disent leurs succès et leurs échecs pour obtenir la compassion de leurs lecteurs. On cherche à susciter des rires et des joies, ou des condamnations publiques, lapidations morales de vilains. Or ce qui est tout de même incroyable, c'est qu'il y a un laisser-faire sous le prétexte de libertés de s'exprimer, de ses opinions, en même temps que des souffrances de victimes du haro des foules. On se retrouve avec des clameurs silencieuses, des torrents de textes accusateurs ou de félicitations. Il ne s'agit pas de prendre du recul et se demander où sont la justesse et l'injustice, éléments parfois complexes à établir, mais d'être le plus prompt à réagir, avec des mots que tout le monde approuvera. Au moindre mal qui survient, le peuple s'insurge. Et il faut que les publications fassent du « buzz », qu'elles soient citées de toutes part, commentées, appréciées. C'est assez semblable au succès commercial du « Beaujolais nouveau » comparé aux grands crus. On se précipite pour déguster un vin qui est assez moyen, de bas prix, parce que c'est devenu une tradition, du même genre que la célébration de Noël avec ses monceaux de cadeaux. Malheur à celui qui snobe ces types de comportements, il est diagnostiqué asocial. De ce fait les publicistes l'ont bien compris, et leur technique d'incitation à l'achat est devenu la constitution de « stories ». L'antique principe de la mythologie, le mythos en grec désignant le récit, s'est modernisé et ceux qui veulent vendre leur talent doivent ressembler à un héros grec. Leur histoire doit émouvoir, faire rire, comme une application des techniques rhétoriques décrites par Aristote : l'objectif du discours est que l'auditeur prenne une décision d'agir (acheter) conforme à la volonté de l'orateur. Cet auditeur sera sensible aux arguments, mais aussi aux sentiments que le discours lui provoque. L'un des phénomènes sera également de se conformer à la décision de la majorité, se disant qu'elle indique le meilleur choix à faire. Comme le montre Platon, un bon orateur peut ainsi être plus efficace qu'un médecin pour faire admettre un traitement, et c'est très net actuellement avec l'objectif de vacciner la population contre le Covid-19. La question semble donc de se demander s'il faut faire avec les gens tels qu'ils sont, ou vouloir les (re)former afin qu'ils se comportent autrement. En effet leurs capacités de logique et de rationalité seraient limitées, ils seraient plutôt intuitifs, et émotionnels. Tout le monde n'aurait pas les moyens de comprendre des choses complexes, même si elles peuvent paraître simples à une minorité. C'est ainsi qu'il est nécessaire que certaines sciences soient « vulgarisées » pour qu'on en comprenne les grandes lignes. De ce fait certains domaines sont réservés à une « élite » capable d'intégrer tous les paramètres d'un phénomène, d'un mécanisme, de pouvoir le contrôler, plutôt que le laisser utilisable par « n'importe qui ». Mais il y a ensuite le facteur du « terrain », de la réalité, et du besoin d'un nombre d'acteurs important pour que l'action ait un effet notable, généralisé. Ceci nous invite à retourner vers le taylorisme, « l'Organisation Scientifique du Travail », pour lequel une aristocratie pilote l'exécution sans réflexion, ce qui est proche des doctrines politiques de Platon et Aristote. Deux modèles s'opposent donc : celle de l'action généralisée commandée par des seigneurs, la dictature, et celle de la « fabrique du consentement » où par d'habiles moyens de communication on va stimuler un désir de comportement, et c'est alors de la manipulation. Le hic c'est que la communication n'est plus réservée aux puissants, car ils sont devenus concurrencés par les plaisants. En particulier ceux qui sont habiles à faire croire une vérité qui peut être totalement loufoque, parce qu'elle s'ancre dans une « mémoire collective » qui désire un monde magique, avec des Pères Noël, poétique, mythologique. Le rationnel est donc en concurrence avec un émotionnel rêveur, et le match a lieu entre les intérêts privés, capitalistes, et un espoir d'une société améliorée. Le seul arbitre est l'État qui prêche le développement de « l'esprit critique » dans la population sans vraiment savoir comment y parvenir. En effet les « puissants » qui maîtrisent la TV et la radio n'y ont pas intérêt, cela nuirait à leur capacité de publicité, de manipulation. En conclusion il est devenu réellement ardu de savoir qui lire, écouter, regarder, et croire. Il l'est tout autant lorsqu'on croit en une vérité que tout le monde tait et qu'on voudrait qu'elle devienne populaire. Les gens semblent en effet désireux de meneurs (leaders) qui les entraîneraient vers une « terre promise » sans admettre qu'il n'y a qu'une seule planète. Alors se met à régner le maquillage.
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Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
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