Le Littré nous dit qu'une société est une « Réunion de gens ayant même origine, mêmes usages, mêmes lois » et le CNRTL que c'est un « mode d'existence caractérisé par la vie en groupe; un milieu dans lequel se développent la culture et la civilisation. » Wikipedia en tire un compromis en avançant que c'est « un groupe d'individus unifiés par un réseau de relations, de traditions et d'institutions ». Sauf que le préalable, comme nous l'indique la langue latine, c'est qu'un socius, un membre d'une société, s'est nécessairement associé avec les autres membres. Il ne s'est pas retrouvé parachuté dans ce groupe dans lequel il aurait été forcé de se plier aux lois, à leur vie grégaire, et d'adopter leur culture, sauf s'il y est né. Et dans ce cas, devant adulte et autonome, il est en droit de se demander s'il est bien d'accord avec cette société, s'il veut en trouver une autre, ou peut-être fonder la sienne s'il en connait d'autres adeptes. Or dans ce cas, à moins de l'autoriser à aller s'installer librement dans la société de son choix, il peut être prisonnier de sa société de naissance, du fait qu'on lui refuse de s'établir dans une autre société. Et alors, frustré de son désir de changer, l'agacement peut le prendre, et la colère le rendre violent, combattif. Ces rébellions dans des petites sociétés entraînent en général l'exclusion, mais existe-t'il des lieux sans société où les isolés, les indépendants, pourraient trouver refuge ? Il n'existe ainsi aucun territoires de non-droit bordant les pays, des zones libres. Par ailleurs, pour rester dans l'absence de liens sociaux, il faudrait que chacun y soit auto-suffisant, pour qu'aucun commerce, aucun échange, ne s'y effectue. C'est Robinson Crusoé sur son île déserte, avant que Vendredi le rejoigne. Il faut pour cela un caractère bien trempé et une habileté peu commune, sans parler d'une excellente santé. Mais en réalité nous avons deux niveaux de société : celle des groupes où les gens se connaissent et sont alliés, associés, et celle plus vaste de la « cité », de la civitas en latin, où coexistent de ces nombreuses sociétés, qui ensembles établissent la civilisation, l'essence de la civitas. Parler à quelqu'un dans la cité qui n'est pas de sa société est donc de la civilité. Tandis qu'une relation véritablement sociale se fera avec les membres de sa société. Néanmoins nous devons nous poser la question de cette cité, si elle ne serait pas elle-même une société du fait d'un possible « pacte social » entre ces citoyens. S'il existe, il faut alors qu'il ait été librement consenti, et que ce consentement soit éclairé, clairement informé. Or à quel moment de notre vie nous demande t'on de signer ce pacte de citoyenneté, alors qu'on nous inculque à l'école des devoirs de civilité. Comment doit-on considérer un contrat tacite souscrit à son insu ? Je pense que juridiquement il sera considéré nul. Car le problème est de concilier société et liberté. Si ayant conclu un « pacte » on s'engage à respecter des normes et œuvrer dans le but visé collectivement, peut-on encore y faire ce que l'on veut ? Cette volonté nait de désirs, d'envies, qui nous portent vers nos propres buts. Il faut alors que ceux-ci coïncident avec les intérêts de notre société. A un niveau micro-sociétal par exemple, il n'est pas acceptable qu'un employé d'une entreprise de menuiserie y passe du temps à se former à la médecine chirurgicale ou à la poterie. Pourtant, si celui-ci veut changer de société, de normes, il lui faut bien se former à la société qu'il vise. A un niveau plus macro-sociétal d'un changement de pays, il faut en apprendre la langue pour pouvoir communiquer ses besoins et comprendre les demandes. Le compromis actuel est de permettre un temps de travail en société et un temps de loisir pour vivre sa liberté. Mais comme les formations sont elles-mêmes un travail en société pour l'enseignant, et que toute la macro-société s'est calée sur le même rythme horaire, il faut abandonner son travail pour pouvoir étudier le moyen d'exercer notre liberté, notre volonté. Cruel dilemme... Et d'autre part, quelles sociétés existent où il n'y a pas une oligarchie, un petit nombre de gens, qui dirigent l'ensemble des associés, des membres de la société ? Dès qu'on dépasse la taille d'un foyer familial, certains se portent volontaires pour organiser l'activité collective, en étant parfois admis à cette fonction soit par ceux qui s'y trouvent déjà, soit par une élection des membres de la société. Leur niveau de pouvoir sur les autres peut alors varier, selon qu'ils se sentent comme maîtres et possesseurs de la société, des despotes, des tyrans, ou seulement des guides, meneurs (leaders), donc des seigneurs, souverains, ou des patrons s'ils se montrent protecteurs. Dans le premier cas un membre de la société sera son serviteur, dans le second un employé, qui aura ployé aux normes de cette société. Mais encore faudra-t'il que les membres de cette société soient dociles et obéissants, car que faire s'ils se rebellent, s'ils réfutent l'autorité de leurs maîtres ? Nous voyons alors venir l'intérêt de la socialisation dans la prise de connaissance des buts des uns et des autres, pour savoir si nous pouvons nous allier à eux. En effet, si leurs buts s'opposent aux nôtres, ce sera un casus belli, ils seront nos ennemis. D'où l'effet des réseaux sociaux qui créent des liens lorsqu'une communauté d'objectifs apparaît entre les gens, ou que l'objectif de l'un sert l'intérêt de l'autre. Mais il y a aussi des socialisations qui n'ont pour but que la distraction, la convivialité, un commerce de bonnes paroles. Un mariage n'est pas toujours par intérêt commun, il peut aussi se conclure parce que l'autre nous plait, nous est agréable. Cela suffira-t'il à en faire des alliés ? Se lancera-t'on dans une entreprise pour les beaux yeux de quelqu'un qu'on aime ? Ne nous faudra-t'il pas un motif plus sérieux, rationnel ? C'est donc bien dans ce qui justifie le « pacte social » que se situe la problématique. Nous n'avons plus trop de menaces belliqueuses à contrer, les guerres étant devenues rares entre pays, nous aurions plus des difficultés avec le système économique. Un système est fait d'éléments qui sont en relation les uns avec les autres. Le système économique créé un commerce, des échanges, entre les individus et les mini-sociétés que sont les entreprises. Il est alors stupéfiant de voir leurs différences de pouvoir d'achat, ce que les uns et les autres peuvent payer. D'autre part, une société permet de diviser le travail entre des gens plus spécialisés, qui, quand ils sont bien coordonnés, sont plus efficaces qu'un nombre égal d'artisans individuels. Cette coordination ramenant à notre problématique d'oligarchie gouvernante, et de limitation des libertés. Mais au-delà d'une certaine taille, cette coordination s'organise en bureaucratie, et l'efficacité s'en trouve amoindrie. L'individu n'est plus une personne connue, il devient une « donnée » (data), une ligne dans un registre. Il y a donc un seuil où une société ne peut plus en être une. Le « pacte social » y est remplacé par un état-civil, et la performance globale s'en trouve amoindrie. Ce n'est alors plus d'association qu'il faut parler mais de fédération, pour permettre à des organisations plus petites d'exister, de maîtriser leurs territoires, et de permettre aux individus de trouver la société qui leur plait. En effet, si la société implique l'association, l'union, la fédération, du latin foederō qui signifie la signature d'un traité, est moins contraignant que le contrat, le pacte. Les signataires sont alliés, comme la France et le Royaume-Uni contre l'Allemagne, mais chacun peut faire ce qu'il veut chez lui, il y a peu de normes communes à respecter. Le territoire de chacun est donc respecté, personne ne restreint les libertés de l'autre, chacun conservera une bonne autonomie, avec obligation de ne pas se nuire entre eux. C'est un « bon voisinage », pour lequel on peut aménager des ressources communes, des organismes fédéraux, car occasionnellement ces alliés peuvent souffrir d'un ennui commun. C'est en soi le principe d'une copropriété avec un syndic qui l'administre. Et c'est assez l'impression que donne l'Union Européenne, même s'il semble dans la pratique y avoir trop de normes communes au goût des britanniques. La fédération semble donc un degré intermédiaire entre la société et la citoyenneté, ou sinon au dessus de la citoyenneté en fédérant plusieurs cités. Que seraient alors des rapports fédéraux plutôt que des rapports sociaux ? Je serais porté à les voir comme ceux de cousins entre eux. Moins intime que la famille proche, il s'agit cependant d'une famille voisine. Il y a une histoire commune, une même généalogie. On se rencontre à l'occasion, on se salue, on prend du plaisir à se voir, mais il n'y a pas entre eux d'association étroite. La solidarité est limitée à certains aspects, chacun doit veiller sur sa demeure. Donc au lieu d'une fraternité sociale, cela devient un cousinage fédéral, sorte de grande tribu. De là l'identité fédérale replacera-t'elle l'identité sociale ? Je pense qu'elle la complètera : « untel » se disant de telle société au sein de la fédération, et de cette fédération lorsqu'il en est à l'extérieur, bien qu'on se réfère plutôt à l'activité fédérale, à son but collectif. Cette dénomination dépendant de la notoriété de la société et de la fédération.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
Guillaume
International Business Controller. Chercheur en Sciences de Gestion. Ingénieur Systèmes d'Informations. Archives
Mai 2022
Catégories
Tous
|